Le club des polarophiles québécois

Val McDermid

Le tueur de l'ombre
Noirs tatouages

Le tueur de l'ombre

MD (20 novembre 2008)


En un coup d'oeil


À mon avis

Écrit entre le deuxième et le troisième roman de la série Hill/Jordan, ce roman se ressent de la proximité ; on y retrouve les ingrédients : au centre de l'histoire un couple constitué d'un écrivain de polars noirs plutôt passif et d'une professeure universitaire de psychologie criminelle d'autant plus agitée qu'elle se sent coupable du viol et de l'assassinat de sa jeune sœur, un psychopathe impitoyable et apparemment omniscient, des instruments de torture et beaucoup de sang, des policiers fourvoyés dans de fausses pistes... Dans la série Hill/Jordan, ça va très bien. Dans ce cas-ci, la sauce prend mal.

D'abord, le roman est deux fois plus long que d'habitude (600 pages en livre de poche), ce qui oblige l'auteur à multiplier les intrigues différentes : qu'est-ce qui est arrivé à Leslie il y a quelques années? Qui est l'éventreur d'Édimbourg? Quel est le rapport avec les meurtres de Tolède? Qui a tué Suzanne Blanchard? Et Susannah, est-ce le personnage de Martin? Toutes ces pièces détachées nuisent à la progression dramatique, même si on se dit que tout cela va probablement finir par composer un tableau cohérent. Mais ce n'est pas le cas. Et la façon de tenter de souder certains des bouts entre eux à la fin reste peu convaincante.

A cette première réserve s'ajoutent d'autres irritants : peut-être est-ce un problème de traduction, mais les dialogues entre Fiona, Kit et Steve manquent de naturel; il y en a peu, et ce n'est pas pire que chez Cornwell, mais ça ne rend pas Fiona plus sympathique, elle dont le principal argument consiste parfois à tirer la langue à ses interlocuteurs (au moins deux fois). Deuxièmement, le gros travail de dépistage est accompli par un logiciel de recoupements géographiques, et la piste décisive est due au hasard d'une photographie. Ce n'est certes pas le travail des enquêteurs qui est au poste de commande, et c'est probablement aussi bien, puisque deux ou trois d'entre eux chargés de surveiller les allées et venues d'un suspect ne se rendent même pas compte qu'il peut quitter son appartement par la porte d'en arrière! Enfin, pour l'ambiance on repassera; pourtant, que le centre de l'histoire soit le milieu des écrivains de polars aurait pu donner lieu à des passages intéressants ou ironiques, comme dans le très beau roman de Montalban, Le Prix.

Il ne faudrait pas que le lecteur qui est tombé sur ce livre se détourne de McDermid : sa série Hill/Jordan est très supérieure par son rythme, son atmosphère et sa plausibilité.

Ma note : 3/5


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Le tueur de l'ombre
Noirs tatouages

Noirs tatouages

(MD) février 09

En un coup d'oeil


À mon avis

McDermid aime bien changer d'air. Je l'ai connue à travers la série du profileur Tony Hill et de la policière Carol Jordan, dont la télévision britannique s'est emparée depuis 2001, (qui existe en dvd et qu'on peut voir le mercredi soir à la BBCC, canal 130 sur Illico); série télévisée qui ne rend vraiment pas justice aux romans! Une dizaine de romans, par ailleurs, n'appartiennent à aucune série. Noirs tatouages est un de ces romans. McDermid flirte ici avec le genre historico-littéraire : le cadavre découvert dans une tourbière serait peut-être celui du chef des mutins du Bounty, Fletcher Christian, qui aurait pu raconter son histoire à son vieil ami de collège, le poète Wordsworth, qui en aurait fait une sorte de poème épique non publié. Nombreux sont ceux qui paieraient cher pour un tel manuscrit.

J'avais trouvé que Le Tueur des ombres souffrait de sa proximité avec les Hill/Jordan; pas de cela ici. La composition est soignée : une quarantaine de courts chapitres d'une dizaine de pages, chacun précédé d'une page en italique où Christian raconte son histoire. Nous suivons donc le développement simultané de deux intrigues : est-il possible que Christian ait abouti dans la tourbière de Lake District? Et l'universitaire Jane Gresham parviendra-t-elle à retrouver le manuscrit de Wordsworth, s'il existe, chez les descendants de Dorkas Mason, dame de confiance de la famille Wordsworth, à qui le manuscrit aurait été confié? La progression est lente parce que, entre autres, beaucoup de personnages apparaissent autour de Jane et que l'auteure les a dotés d'une certaine densité. Si vous comptez prendre dix jours pour lire le roman, faites-vous un dessin dont le centre serait Jane et, en orbite, ses voisins du quartier londonien mal famé qu'elle habite (dont Tenille, l'étonnante jeune noire de 13 ans), ses amis universitaires, sa famille typique du milieu agricole du Nord de l'Angleterre (dont son frère Matthew), policiers locaux et Scotland Yard, l'anthropologue de médecine légale River Wilde, son ancien chum Jake, sans parler de toutes les familles susceptibles d'avoir hérité du manuscrit, et j'en passe. Alors qu'on traverse en deux jours les Hill/Jordan, ça prend plus de temps pour assimiler tous les aspects de cette quête de manuscrit; j'ai même sauté deux chapitres par inadvertance et ne m'en suis aperçu que trois chapitres plus loin.

Ce n'est pas très grave dans la mesure où l'action passe clairement au second plan : après tout, interroger des vieillards qui n'en finissent pas de mourir n'est pas très excitant en soi. Et que les rebondissements dépendent des gaffes de Tenille ou de Jane n'apparaît pas comme un astucieux moteur dramatique. McDermid s'est plutôt attachée aux personnages et aux milieux sociaux, et je soupçonne fort que doit beaucoup à ses souvenirs d'enfance la description de la ferme familiale, ses parents bien sûr, mais aussi les bâtiments, les odeurs, le calme et la beauté des paysages, et le dépérissement de ces communautés agricoles ou minières où les habitants sont trop pauvres pour entretenir leurs maisons cédées à des touristes en mal d'exotisme. L'émotion est au rendez-vous. D'autant plus que nous vivons le même phénomène au Québec, où les petits agriculteurs sont les parents pauvres de l'économie.

J'ai connu des lecteurs plus préoccupés d'apprendre si le cadavre était celui de Christian que de savoir si Jane échapperait à qui veut l'éliminer et finirait par découvrir le fameux manuscrit. Et qui se demandaient si le film sur La Mutinerie du Bounty était meilleur avec Laughton/Gable, Howard/Brando ou Hopkins/Gibson.

Dans un véritable thriller, le père de Tenille serait intervenu pour corser les choses et la fin n'aurait pas été aussi rapidement expédiée : l'inconsistance des méchants remplit clairement la fonction d'un deus ex machina. Qu'on ne s'attende pas à une réconciliation des différentes trames comme Jo Nesbo l'aurait parachevée! Cette fois-ci, McDermid, sans sortir complètement du genre polar, a voulu faire sans doute quelque chose de plus sérieux, de plus littéraire. Et c'est certain que la lecture est loin d'être désagréable.

Ma note: 3.5 / 5