Deon Meyer

Le pic du diable
Lemmer l'invisible
13 heures

Le pic du diable

JH (mars 2009)

En un coup d'oeil
  • Date de publication originale: 2002 (Devil's Peak)
  • Date de l'édition française: 2007 (Seuil) et 2008 (Points policiers)
  • Genres: roman noir, roman psychologique.
  • Mots-clés: pédophilie, vengeance.
  • Personnages principaux: Thobela Mpayipheli, justicier; Benny Griessel, inspecteur de police au Cap; Christine van Rooyen, ex-prostituée.

À mon avis

Deon Meyer, romancier d'Afrique du Sud, compte à ce jour cinq romans traduits en français. Dans l'ordre: Jusqu'au dernier; Les soldats de l'aube (Grand prix de littérature policière 2002); L'âme du chasseur; le présent Pic du diable; et, tout récemment, Lemmer l'invisible.

Le pic du diable remet en scène le colosse noir Thobela, personnage principal de L'âme du chasseur. Alors qu'il mène enfin une vie rangée, une balle perdue tue par accident son fils adoptif et il décide de devenir justicier de la cause des enfants maltraités, tuant, à l'aide d'une sagaie (le "pic du diable", justement) tous les pédophiles qui ont réussi à passer entre les mailles du filet judiciaire. Mais le personnage principal demeure l'inspecteur Griessel, chargé entre autres de lui mettre la main au collet. Quant à Christine, sa vie de call-girl bascule le jour où elle se met à craindre pour sa petite fille. Un résumé de l'intrigue ainsi qu'une critique pertinente se trouve sur Pol'art noir.

Autour d'une intrigue correcte, mais minimale et qui progresse lentement, ce roman tire sa force du portrait des trois personnages principaux, tous trois lourdement puckés par la vie, mais dont la psychologie complexe est explorée de l'intérieur, avec une analyse psychologique fouillée et un réel talent d'écrivain. Ni entièrement bons ni entièrement mauvais, les trois personnages sont convaincants et troublants d'humanité. Ainsi, le flic Griessel est alcoolique, ce qui est devenu classique; mais cet alcoolisme n'est pas seulement, comme chez beucoup d'autres romanciers, une simple caractéristique du personnage: Meyer décrit la problématique en profondeur, en décortique les ressorts intimes, l'explique au lieu de simplement le constater ou l'évoquer. Même chose pour le rapport complexe de Christine aux hommes et à la sexualité, conséquence d'une éducation puritaine.

Le roman progresse lentement, en narrations croisées, dont Meyer abuse même par moments, au point qu'il faut faire parfois un effort pour savoir où on se trouve, sans compter que quelques flashbacks viennent en outre compliquer le repérage romanesque. Comme prévu, les trois narrations finiront pas se rejoindre dans la même intrigue, mais seulement vers la fin du roman, et d'une façon que l'on n'avait pas imaginée. Et même si l'histoire se passe bien en Afrique du Sud, la couleur locale, comme c'est correct, demeure dans les limites nécessaires à la progression de l'histoire. Contrairement à la lecture qu'il est de bon ton de faire de ces romans en France, je ne vois pas ici de visées sociologiques ou politiques; les aficionados du documentaire resteront sur leur faim et devront se rabattre sur le National Geographic. Personnellement, vous m'en voyez fort heureux! La place est entièrement occupée par la psychologie des personnages, dont les souffrances et les espoirs sont universels.

Roman solide, donc, que je recommande certainement; mais néanmoins pas un coup de coeur: un abus des narrations croisées, une certaine obscurité dans la progression de l'intrigue à certains moments et une fin qui, sans être décevante, est toutefois quelque peu bâclée m'empêchent d'être plus enthousiaste.

Ma note: 4/5


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Le pic du diable
Lemmer l'invisible
13 heures

Lemmer l'invisible

JH (avril 2009)

En un coup d'oeil

À mon avis

Il y a deux types de gardes du corps: les gorilles, tout en muscles et destinés à impressionner et à dissuader; et les invisibles, tout en intelligence et qui se fondent dans le décor. Lemmer appartient à la seconde catégorie. Il est recruté par Emma, une riche cliente, qui a cru reconnaître son frère disparu depuis des années et dont la quête semble déranger bien du monde, au point de mettre sa vie en péril.

Un excellent résumé ainsi qu'une critique (un peu trop) enthousiaste se trouve sur Pol'Art Noir.

Avec ce cinquième roman, Meyer confirme ses talents d'écriture. Son personnage de Lemmer est attachant et fascinant. Ni flic, ni drogué ni alcoolique (ce qui est rafraîchissant par les temps qui courent!), son drame est, précisément, d'être invisible. Caractéristique utile dans son métier, certes, mais qui ronge sa vie personnelle. Solitaire, taciturne, échappant à ses blessures passées avec sa règle numéro un (Ne pas s'impliquer), il ne peut cependant faire taire totalement son sens moral ni son besoin d'être significatif pour quelqu'un, un jour. Vous aurez compris qu'Emma, sa séduisante cliente, va venir bouleverser le fragile équilibre de la vie de Lemmer. C'est tout le talent de Meyer de ne pas verser dans l'histoire de coeur hollywoodienne et de conserver à cette relation, qui ne se concrétisera jamais, disons-le tout de suite, son caractère virtuel et platonique.

Parallèlement, Meyer poursuit son entreprise de description sociologique de l'Afrique du Sud post-apartheid, avec ses fractures sociales, les tensions entre les innombrables ethnies (on finit par s'y perdre, d'aillleurs, lorsque que, comme moi, on n'a pas une bonne connaissance sociologique de ce pays), la corruption des institutions, le passage soudain d'une époque à une autre dans la foulée des changements politiques. Si on a un intérêt pour l'exotisme, on appréciera ce portrait sociologique fort réussi. Se greffe à cette toile de fond une dimension nouvelle chez Meyer: la préoccupation environnementale. Ses développements sur les dangers du développement et sur le sort des espèces menacées sont convaincants et nuancés, informatifs sans être didactiques, et ne versent pas dans le prêchi-prêcha écologique qui sévit couramment dans cette niche.

La faiblesse du roman, à mon avis, se situe du côté de l'intrigue. La première partie, quoique lente, est impeccable. Mais ça se gâche en seconde partie quand on abandonne la narration linéaire pour, selon une mode trop répandue, remonter dans le passé des divers personnages à coups de flashbacks. L'élargissement de l'intrigue dans le temps se double d'un élargissement dans l'espace, quand on quitte une histoire serrée pour verser dans le schéma banal et convenu des organisations terroristes, des développeurs pourris et des institutions corrompues. On croirait que l'auteur s'est retrouvé en panne aux deux-tiers du roman et a dû, pour le finir, y injecter des matériaux romanesques de seconde qualité. Dommage.

Ma note: 3,5 / 5


Le pic du diable
Lemmer l'invisible
13 heures

13 heures

JH (mai 2011)

En un coup d'oeil

À mon avis

Avec ce sixième roman traduit en français, Deon Meyer poursuit sa chronique de l'Afrique du Sud post-apartheid. Mais, cette fois, la dimension sociologique est mise en veilleuse au profit de l'intrigue.

Comme le titre l'indique, l'intrigue est extrêmement resserrée, chaque section de 3 ou 4 chapitres correspondant à environ une heure dans la vie de Benny Griessel. Le rythme est donc intense et on pense un peu à 24 heures chrono, mais sur un tout autre registre. Griessel mène, dans cette journée, deux enquêtes de front. Il faut éclaircir le meurtre d'un producteur de disques (et les suspects ne manquent pas, car il brassait beaucoup d'affaires et baisait à tout vent). Mais il faut surtout sauver une jeune touriste américaine qui se terre dans la ville pour échapper à la traque impitoyable d'un groupe non identifié qui a déjà abattu sa compagne de voyage. On ne sait pas avant les derniers chapitres qui la traque ni pourquoi, mais la course contre la montre que mène Griessel en est d'autant plus haletante.

Comme on s'en doute, les deux enquêtes menées en parallèle semblent n'avoir rien en commun et le fil qui les relie ne sera révélé qu'à la toute fin, avec un ficelage joliment réussi.

Le flic qui lutte contre l'acoolisme pour sauver son mariage, les tensions au sein de la hiérarchie policière, il n'y a rien là pour renouveler le genre. On a donc affaire à un roman qui se laisse lire plaisamment (Meyer a trop de talent et d'expérience pour être ennuyeux!), sans faiblesse marquée, mais qui laisse quand même une petite faim. Disons que je vais aller voir ailleurs pour un certain temps ...

Ma note: 3,5 / 5

Le pic du diable
Lemmer l'invisible
13 heures