Qiu Xiaolong

Mort d'une héroïne rouge
La danseuse de Mao
Les courants fourbes du lac Tai

Mort d'une héroïne rouge

MD (novembre 2009)

En un coup d'oeil
  • Date de publication originale: 2000 (Death of a Red Heroin)
  • Date de l'édition française: 2003 (Liana Levi, Points, 501p)
  • Genre: enquête policière
  • Mots-clés: héroïne assassinée, pressions politiques
  • Personnage principal: inspecteur Chen Cao, de la police de Shanghai
  • Bio-bibliographie: ici.
  • Résumé et commentaire: .

À mon avis

C'est toujours assez émouvant de tomber sur un nouvel écrivain dont on aime le premier livre et qui vient de publier 6 romans policiers en six ans. Qui plus est : cet auteur est chinois (même si, né en 53, il vit depuis 19 ans aux États-Unis) et ce sont ses années vécues à Shanghai qui inspirent directement l'univers de son inspecteur Chen Cao. Ce petit dépaysement est bienvenu. Pourtant, les noms chinois sont plus faciles à déchiffrer et à retenir que les islandais ou les suédois; la structure de ce polar est tout à fait classique; et la société chinoise des années 90 est beaucoup plus près de la nôtre (pour le meilleur et pour le pire) que celle du Juge Ti.

Cela dit, nous sommes quand même un peu dépaysés, et plusieurs commentateurs ont bien apprécié la description de la ville de Shanghai, ses quartiers riches à l'écart, ses taudis aux petites ruelles, les logements minimalistes des gens ordinaires, les édifices gouvernementaux mieux organisés, les vendeurs de mets exotiques itinérants et les grands restaurants pour les touristes ou les privilégiés. Comme l'action se situe au début des années 90, et que l'auteur à cette époque, comme le détective, approche la quarantaine et a vécu dans une famille petite bourgeoise qui a connu les années glorieuses du maoïsme, la révolution culturelle, puis la lutte contre les gardes rouges, les gens instruits devant se faire rééduquer à la campagne, enfin les 4 libéralisations modernisantes de Deng Xiaoping (milieu 80/début 90) où les vieux cadres sont mis à la retraite et où on compte sur les jeunes scolarisés, le lecteur est plongé dans les luttes de pouvoirs entre les purs et durs et les modernes. Apparemment au-dessus de tout ça, la stabilité du Parti unique qui s'assure la suprématie en lançant de temps en temps des attaques contre des ennemis communs, ceux qui subissent les mauvaises influences de l'Occident, par exemple. Ce qui, par ailleurs, n'empêche ni les relations littéraires ni les échanges économiques entre les États-Unis et les Chinois. On en vient ainsi à vivre de l'intérieur et à comprendre cette originale cohabitation entre la libre entreprise et la pensée unique, à ce moment du développement de la Chine où le politique jouit encore d'un certain contrôle sur l'économique.

Quant à la dimension policière à proprement parler, la structure est classique : découverte d'un cadavre, recherche de l'identification, collection et étude d'indices (interrogation de l'entourage, fouille de l'appartement), belle complicité entre Chen et son adjoint Yu, respect d'un bon patron mais qui doit tenir compte d'interventions venues d'en haut, la corruption des uns et l'acharnement bien intentionné des autres; bref on retrouve ici les chemins habituels caractéristiques des polars de procédure policière, y compris la contribution des amis et des conjointes comme chez Anne Perry et Donna Leon. Le rythme est lent dans la mesure où la description de la vie quotidienne des Chinois de Shanghai est importante, et l'intérêt de l'auteur pour la nourriture, du fast food au grand restaurant russe du Chinois d'Outremer, a ravi bien des lecteurs. Ce qui est sympathique aussi, pour nous québécois, c'est que nous avons l'impression que les jeunes Chinois des années 90 vivent une sorte de Révolution tranquille qui, à bien des égards, ressemble à la nôtre des années 60. Jeans ou jupes courtes, libération sexuelle (si on compare au puritanisme maoïste qui sévit jusqu'au milieu des années 80), une certaine confiance en l'avenir, remise en question d'un certain passé et de fréquents privilèges, bien que cette critique soit prudente et plus émise en privé qu'en public, parce qu'on ne sait pas trop, en cette période de transition, qui appartient à quelle tendance. L'inspecteur Chen incarne bien cette période : poète et fils d'un professeur de tendance néo-confucianiste, ayant tendance à se servir de sa tête et de son cœur plutôt que de se soumettre aveuglément à l'autorité ou aux règles, confiant malgré tout (en gros) au Parti et au progrès de l'évolution de la Chine, il apparaît comme un pragmatique sympathique et prudent.

Ce qui semble un déséquilibre, dans ce commentaire, entre l'intrigue proprement dite et le contexte où elle se déroule, traduit la composition du roman. Nous nous attachons à Chen comme au Charlie Salter d'Eric Wright ; nous sommes captivés par la vie quotidienne de la ville de Shanghai tout en étant surpris du fait que ces Chinois nous ressemblent sur bien des points. Ceux qui se passionnent pour les puzzles aux solutions subtiles, ceux qui jouissent des rebondissements inattendus qui nous sortent de nos pantoufles, et ceux qui préfèrent les méchants sadiques, les bons alcooliques et mal mariés, et les enquêtes bouclées à la hussarde, n'apprécieront pas le supplément d'âme qui habite ce roman.

Ma note: 4/5


Mort d'une héroïne rouge
La danseuse de Mao
Les courants fourbes du lac Tai

La danseuse de Mao

MD (janvier 2010)

En un coup d'oeil

À mon avis

Comme j'avais bien aimé le premier roman de Qiu Xiaolong, Mort d'une héroïne rouge, j'ai voulu voir l'espace parcouru jusqu'au dernier traduit, le septième, La danseuse de Mao. La différence la plus frappante avec le premier, c'est que l'intrigue est davantage liée à la critique, non pas de la totalité du système, mais du culte de la personnalité qui entourait Mao et de la personnalité de Mao lui-même, particulièrement son goût pour les jeunes femmes et sa façon pour le moins cavalière de les laisser tomber une fois qu'il ne les désirait plus. On s'attarde aussi sur le fait qu'il se voyait comme un empereur, mais c'est un phénomène courant dans notre genre de société également.

La rumeur court que la jolie danseuse Shang, courtisane de Mao à une époque, aurait laissé à sa fille un document ou un objet compromettant, que celle-ci aurait à son tour cédé à sa fille, Jiao. La Sécurité Intérieure est sur l'affaire mais le Ministre charge personnellement l'inspecteur Chen d'y voir de près. Pas facile de trouver un objet quand on n'est pas certain qu'il existe et dont on ignore la nature. Chen ne peut même pas mettre au courant son adjoint et ami Yu, mais il n'hésite pas à avoir recours au Vieux Chasseur et à l'épouse de Yu. Chen lui-même a amélioré son style de vie, d'autant plus que, au cours de cette enquête spéciale, ses dépenses sont remboursées par l'État. Sa vie personnelle est quasi inexistante et ses relations épisodiques avec son amie de Pékin restent rares et plutôt utilitaires.

Quant à l'histoire proprement dite, cette chasse au trésor mystérieux, c'est encore un prétexte pour se promener dans Shanghai, observer la population, commenter l'écart entre les riches et les pauvres; très linéaire, sans rebondissement, l'action traîne un peu en longueur et l'enquête se termine grâce à de beaux hasards qui auraient pu se produire cinquante pages plus tôt ou plus tard. Il manque à Xiaolong l'imagination inventive d'une Anne Perry et le sens de la vie quotidienne d'une Donna Leon. Et, comme Chen le constate lui-même, il n'est pas vraiment responsable du succès de ses enquêtes. Le lecteur est donc moins porté à s'attacher à lui qu'à Brunetti ou à Pitt, sans parler de Holmes ou de Poirot évidemment.

Ce n'est pas mauvais, mais il faudrait trouver un moyen de rendre cet univers plus intéressant, ces personnages plus attachants et surtout ces intrigues plus poignantes.

Ma note: 3,5 / 5


Mort d'une héroïne rouge
La danseuse de Mao
Les courants fourbes du lac Tai

Les courants fourbes du lac Tai 

RP (Juillet 2011)


En un coup d'oeil


À mon avis

L’inspecteur en chef Chen se voit offrir des vacances dans un centre de détente réservé aux cadres supérieurs du Parti Communiste. Il n’y a pas grand-chose à faire dans ce centre aussi il va se balader dans les environs et il rencontre Shanshan, une jeune et belle militante pour l’environnement. Celle-ci reçoit des messages de menace sur son téléphone portable. Voilà qui commence à intéresser notre inspecteur en vacances. Et puis le directeur d’une usine chimique qui déverse ses résidus dans le Lac Tai est assassiné. Chouette alors ! Chen a trouvé une occupation pendant ses vacances, il va pouvoir faire ce qu’il fait tous les jours au boulot : enquêter ! Mais pas officiellement, là c’est pour le plaisir, pour le fun quoi ! Ne pouvant agir à visage découvert, il investigue via ses relations dans le système policier. Finalement Chen passera de bonnes vacances, il découvrira le coupable, trouvera un amour éphémère et rentrera à Shanghai pour continuer à enquêter.

Livre instructif sur la Chine avec son développement économique forcené où l’environnement est non seulement négligé, mais pire considéré comme un handicap à la compétitivité. C’est une critique de la productivité et de la compétition économique à tout prix. L’auteur montre aussi comment des directeurs d’usine s’enrichissent lors de la privatisation. Autre critique de la Chine actuelle : la façon d’éliminer, pour la Sécurité Intérieure, un activiste écologique en faisant de lui un coupable parce que son action gène les cadres du Parti.

Livre étonnant par son rythme lent : ici on prend son temps, nous sommes loin de l’effervescence et la tension des thrillers occidentaux. Son héros policé (un policier policé !) au langage châtié, féru de poésie et de gastronomie, nous change vraiment des policiers désenchantés, aux manières brutales, un brin alcooliques, souvent rencontrés dans les polars américains ou scandinaves.

Livre amusant car on y relève quelques phrases savoureuses : « Pour un Gros-Sous c’est banal d’avoir une petite secrétaire » ou « … son mari au lit avec une autre, en train de se vautrer dans le nuage et la pluie. »

Mais livre un peu ennuyant : Les manières raffinées de Chen, la poésie, les recettes de cuisine …tout ça installe une ambiance de calme et de sérénité, en contradiction avec l’action que réclame le polar. Ça ronronne un peu, on étouffe un bâillement de temps à autre, on attend un peu de mouvement qui nous sortirait de la somnolence qui nous gagne.

Si on cherche un peu de dépaysement, ce livre peut se lire avec plaisir. Toutefois ceux qui aiment les thrillers au rythme soutenu et les polars à l’ambiance dure et tendue, ne se satisferont pas des élucubrations de l’inspecteur Chen, le policier, poète et gourmet, ni de la romance qui se noue entre le policier et une belle écologiste militante. D’autre part la dénonciation du système de production chinois est jugée anecdotique par certains qui reprochent à Qiu Xiaolong, auteur chinois vivant aux États-Unis, de ne pas être plus informé de ce qui se passe en Chine qu’un Occidental s’y intéressant peu (voir le lien ci-dessus Le Vent Sombre).

Ma note : 3 / 5