Nos valeurs sûres

Michael Dibdin

MD (nov 08)


En un coup d'oeil

  • Naissance et mort: 1947-2007
  • Nationalité: britannique.
  • Autre occupation: professeur à l'Université de Perugia (1970-74).
  • Premier roman publié: Piège à rats (1988, traduit en 1995). C'est, du moins, le premier de la série des Aurélio Zen (11 volumes), celui qui l'a mis sur la carte. Autrement, en 78, un pastiche de Sherlock Holmes : L'ultime défi de Sherlock Holmes..
  • Personnage vedette: commissaire (vice-questeur) Aurélio Zen
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: grandes villes italiennes : Pérouse, Bologne, Vérone, Naples, Catane, Venise…
  • Liste des romans traduits en français: 8 des 11 Zen ont été traduits : Piège à rats, 1995 (1988); Vendetta, 1994 (1990); Cabale, 1994 (1992); Lagune morte, 1996 (1994); Cosi fan tutti, 1998 (1996); Vengeances tardives, 1999 (1998); Orage de sang, 2001 (1999); Et puis tu meurs, 2002 (2002). Restent non traduits : Medusa 2004, Back to Bologna, 2005, et End Games, 2007.
  • Genre(s) de prédilection: .procédure policière.
  • Meilleur(s) roman(s), selon moi: Cabale et Lagune morte
  • Ordre de lecture à respecter: .Oui, à partir de Vengeances tardives.
  • Particularités d'édition : Traduits dans l'ordre, sauf le premier.

Liens externes


À mon avis

Dibdin a aussi écrit deux anthologies sur le roman policier et quelques autres polars dans lesquels Zen n'apparaît pas, l'Italie non plus. Ce n'est pas l'homme d'un seul détective, d'une seule femme (il s'est marié trois fois), ni d'un seul pays : Irlande, Angleterre, Canada (Maîtrise en Littérature anglaise à l'Université d'Edmonton et il vit 5 ans en Alberta avant d'écrire son pastiche de Sherlock Holmes), puis Italie (Pérouse, où il enseigne la littérature pendant 4 ans), retour à Oxford, enfin Seattle US, depuis 94, pour côtoyer sa dernière épouse Kathrine Beck, auteure de polars elle aussi. C'est son premier point commun avec Zen qui, contrairement au Brunetti de Donna Leon, mène toujours sa nouvelle enquête dans une nouvelle ville : Venise (dont il est originaire), Pérouse, Rome, Bologne, Catane, Naples, Vérone… Bien malgré lui : c'est le métier qui l'appelle. Sur le plan dramatique, ça oblige Dibdin (et Zen) à toujours recommencer à zéro. Et ça accentue l'aspect solitaire du commissaire que l'administration publique, loin de lui fournir un encadrement adéquat, cherche toujours à manipuler dans un sens ou dans l'autre.

Quand il publie Pièges à rats en 1988, dont le succès l'étonne, il n'envisageait pas d'écrire une série Zen. Dans ce roman, le personnage du policier est d'ailleurs un peu effacé. Ce qui intéresse Dibdin, c'est plus la particularité de chaque personnage et le jeu des interactions entre eux. Et la toile de fond de ces interactions : le milieu. Dibdin adore peindre le monde du vin, de la mode, des média, du Vatican, de la mafia, toujours sur fond contextuel politique et historique. Il trouve médiocres les polars qui se prennent pour des essais politiques mais, se référant à R Chandler et D Hammett, il croit que l'auteur et son détective doivent essayer de comprendre la société où vivent les personnages qu'il met en scène. Ce souci donne beaucoup de chair à ses intrigues qui, malgré l'aspect puzzle, ont peu à voir avec des énigmes purement logico-mathématiques. Les lecteurs qui trouvent trop légères les histoires de Donna Leon se feront plaisir avec Dibdin; comme le suggérait un commentateur, on gagne à le relire, pour apprécier autant son style que la subtilité avec laquelle le déroulement est ficelé. Les intrigues sont souvent si complexes que Zen lui-même s'y perd. Ce n'est pas un génie et ses moyens sont limités. Devant le parrain de la mafia sicilienne, son cynisme ne fait pas le poids. Même quand il boucle l'enquête, il ne contrôle pas les conséquences judiciaires de ses résultats. D'où sans doute, d'un livre à l'autre, l'accentuation de son désabusement, de sa déprime et aussi de sa vulnérabilité. C'est une des raisons pour lesquelles je recommande de lire la série dans l'ordre à partir de Vengeances Tardives. Une autre, c'est que les romans 6, 7 et 8 constituent une sorte de suite logique.

C'est aussi le genre de polars qui, malgré la méfiance de Dibdin, feraient des bons films : beaucoup d'action (filatures, combats, courses contre le temps), une certaine violence (moins cependant que chez sa compatriote MacDermid, qui aime bien les romans de Dibdin), un peu de sexe (mais ce n'est pas la vie sexuelle de Zen qui est la plus excitante!). Pour Dibdin, ça fait partie de l'engagement réaliste dont il se réclame comme écrivain, et dont l'absence (je pense surtout à la violence et à la sexualité) rend plus abstraite la littérature policière d'avant-guerre. D'un roman à l'autre, la structure narrative change : dans Vendetta, nos sommes dans la tête du tueur; parfois, nous sommes Zen; parfois, au-dessus de tous les personnages, nous sommes Dibdin, ou Dieu; dans Vengeances tardives, l'histoire nous est présentée selon des angles différents. Cosi fan tutti fait penser au livret de l'opéra de Mozart. D'une ville à l'autre, l'intrigue varie; d'un livre à l'autre, la forme change aussi. Aurélio Zen demeure le fil conducteur : grand, mince, adepte du café-grappa du matin, cynique, à peu près intègre mais doté d'une conscience morale élastique quand ça semble juste, ce commissaire, assez secret finalement, a plusieurs points communs avec le Pendergast de Preston et Child, même s'il est moins doué physiquement et cérébralement (toujours ce souci du réalisme). Dibdin l'aime bien, mais il admet ne pas beaucoup le connaître : « Il me surprend à chaque livre! ».

Malheureusement, emporté prématurément, Michael Dibdin, lui, ne nous surprendra plus. Son écriture soignée va nous manquer. Pour lui, la littérature policière était un genre sérieux et exigeant. Nous n'en savons pas beaucoup plus sur lui. Dans une entrevue, il pouvait disserter longtemps sur ses livres ou son métier d'écrivain, mais pas tellement sur lui-même en tant qu'homme, ce qu'il jugeait probablement hors d'ordre. Pour se dissimuler, Zen use du cynisme, Dibdin se contente de l'humour : à la journaliste qui lui demande d'expliquer pourquoi il plaît aux Italiens malgré les dures critiques formulées à l'égard de la société italienne, il répond : « Les Italiens sont très tolérants pour les gens qui critiquent les choses qu'ils critiquent eux-mêmes! ». 

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