Le club des polarophiles québécois

Adios Hemingway (de Leonardo Padura)

MD (avril 2010)


En un coup d'oeil


À mon avis

Ce qui reste surtout, quelques jours après avoir lu ce roman, c'est le souvenir de Hemingway, vieilli, malade, quasi-impuissant, tournant autour de sa propriété de la Finca Vigia, en banlieue de La Havane, armé d'une mitraillette Thompson.

Je ne connaissais pas les aventures de l'inspecteur Mario Conde, création du Cubain Leonardo Padura, héros des Quatre Saisons, quatre romans publiés en français dans le désordre entre 1998 et 2004 : Électre à La Havane, L'Automne à Cuba, Passé Parfait et Vents de Carême. Puis Conde, à 36 ans, a décidé de prendre sa retraite pour devenir écrivain, vivre sa passion des vieux livres et accepter, à l'occasion, un travail de détective ou de consultant. Padura a donc écrit d'autres sortes de polars. Mais son éditeur brésilien lui a demandé de participer à une série qu'il lançait, la littérature et la mort, et qui supposait qu'on écrivît un roman autour d'une grande figure de la littérature. Padura, très littéraire et animé depuis longtemps par un rapport ambigu à Hemingway, accepta et se lança dans Adios Hemingway, un petit polar de moins de 200 pages. Et, à la demande générale, il en profita pour remettre en selle Mario Conde, qui collabore avec la police cubaine au moment où on vient de découvrir des os et une plaque du FBI sur la propriété de Hemingway, maintenant transformée en musée.

Les habitués retrouveront avec plaisir, j'imagine, cet enquêteur bien ordinaire, macho, bon buveur, beau parleur, souvent fatigué, parfois tendre. Les nouveaux-venus le trouveront un peu pâle, nettement éclipsé ici par la figure de Hemingway pas particulièrement sympathique, sans amis, mais entouré d'hommes à tout faire, vulgaire et violent, attiré par le sang (combats de coqs, corridas...) ; mais de là à commettre un meurtre... lui qui prétend n'avoir jamais tué un être humain, malgré les légendes qu'il a lui-même popularisées. Un Hemingway présenté sans complaisance par un admirateur critique, qui distingue bien l'œuvre et l'homme. Un Cuba moins senti que dans Havana Bay de Martin Cruz Smith, comme si on avait voulu nous présenter ce qu'était Cuba pour Hemingway aux alentours des années 60 : pratiquement aucune allusion politique, un port (il a un gros bateau), un bar (il a une grosse soif), surtout sa jolie propriété (avec piscine).

En contrepoint : la vie de Hemingway à la fin des années 50, particulièrement la nuit du 2 au 3 octobre 1958 et l'enquête de Conde, 40 ans plus tard, pour comprendre ce qui s'est passé cette nuit là et dans quelle mesure l'écrivain terrible a trempé dans l'assassinat d'un agent de la CIA. Bien écrit, rythme lent, entrevues confuses et émotives avec les vieux et rares potes qui ont survécu, parfois on dirait un documentaire. C'est en ce sens que l'intrigue policière passe au second plan. Habilement, la nuit vécue par Hemingway et la reconstitution de Conde à travers les entrevues se recoupent à la fin. Ça reste d'ailleurs un peu obscur mais ce n'est pas grave: ce qui semble le plus important pour Padura, c'est le déroulement de l'enquête de Conde et les détails de la journée de Hemingway, plutôt que de savoir qui a tiré.

J'allais dire que cette lecture intéresserait surtout les disciples de Hemingway; ce n'est pas certain dans le cas de ceux qui ont le culte de la personnalité. Les amateurs du Conde? Sans doute, car le plaisir d'une résurrection n'est jamais à dédaigner. Pour les autres, le dépaysement est garanti par rapport à un polar classique ou moderne. Pour le pur et dur, pas un bon polar mais un bon roman.

Ma note: 3,5 / 5