Le club des polarophiles québécois

L'enfant allemand (de Camilla Läckberg)

MD (novembre 2011)


En un coup d'oeil


À mon avis

En 2009, Camilla Läckberg occupe en Europe le 9e rang des écrivains de fiction les plus vendus. Ses romans correspondent à un genre particulier : le polar domestique, je dirais. Pas loin des cozy mysteries, sauf qu'on voit un assassinat en direct et qu'on est saisi dès le départ par le caractère gore d'un cadavre qui gît dans son fauteuil depuis un bon bout de temps.

Dans un polar domestique, ce qui compte c'est la petite ville où l'action se passe, les personnages familiers, les multiples relations interpersonnelles solidaires et conflictuelles, les chicanes de couples, les secrets de famille, les divorces, les nouveaux départs, les retrouvailles. Ne nous laissons pas abuser par la pochette ni par le titre : les éléments historiques et géographiques sont vraiment secondaires : la deuxième guerre mondiale sert, en petite partie, de décor et l'auteure en profite pour nous apprendre que, en Suède comme en Norvège, il y avait des pro-nazis et des contre! La petite ville de Fjällbacka, où vivent les personnages de Läckberg et où a grandi l'auteure, se réduit à quelques rues et maisons autour desquels les habitants promènent leurs enfants en poussettes ou leurs chiens. On participe à deux accouchements en détails; on observe les activités les plus insignifiantes de la vie de famille, on partage les problèmes des familles reconstituées (on dirait parfois un roman de Chrystine Brouillet), bref nous avons droit à un exposé en miniature de la vie quotidienne à Fjällbacka en 1943 et aujourd'hui. Comme les policiers possèdent des téléphones cellulaires, on pourrait croire que ça se passe à peu près de nos jours, mais si on se fie à la mentalité des principaux personnages, je veux dire l'obsessive-compulsive Erika et son mollasson de mari, prétendument bon policier (dans ce roman-ci, s'il semble perspicace une ou deux fois, c'est à cause de l'incompétence de ses collègues), on se croirait plutôt au Québec dans les années 60.

Quant aux aspects les plus importants : le problème à résoudre et le déroulement de la recherche? Le roman n'est pas mal écrit, la traduction laisse plusieurs fois désirer (lancer un café!). La composition est en grande partie linéaire, mais joue sur deux périodes temporelles : 1943-44 et aujourd'hui. Mais Läckberg ne sait pas raconter une histoire : pour que son roman ne ressemble pas trop à un journal personnel mélodramatique plus ou moins intéressant, elle abuse de mécanismes artificiels pour égarer son lecteur : à part les retours en arrière en 43, on n'est pas prévenu quand on change de lieu, ou de temps, ou de personnages; les petits problèmes qui n'ont pas trop rapport sont multipliés et brisent l'intrigue s'il y en a vraiment une : Erika et sa belle-mère; Anna et sa belle-fille; Melhberg et son chien, puis avec Rita et la salsa; Paula et son amie Johanna qui est sur le point d'accoucher, pas facile à vivre pour deux homosexuelles; Martin et sa femme qui est enceinte et qui ne sera peut-être pas un bon père; Patrick et son ex, qui a besoin d'être consolée. Je pourrais étendre la liste pendant plusieurs lignes encore : ça m'a pris un schéma de 3 pages pour relier plus d'une trentaine de personnages, sans compter les enfants ni les deux jeunes qui ont découvert le premier cadavre. C'est toute sa vie que Läckberg veut faire entrer dans ce long panorama! Malgré tout, les principaux personnages, sauf Erika, ont peu de profondeur : ce sont des esquisses qui servent de prétextes au cadre dans lequel Erica est partie à la recherche de l'identité de sa mère; plus exactement, et c'est ça le principal problème à résoudre : comment se fait-il que ma mère, qui avait l'air si pleine de vie à 15 ans, est devenue la personne froide et desséchée que j'ai connue? Évidemment, en cours de route, on devra résoudre les meurtres d'Éric, de Britta et la disparition de Hans…

Peu importe au fond : les amateurs de Läckberg, qui bénéficie surtout d'être publiée dans Actes Sud peu après Larsson, retrouvent ses romans comme de vieilles pantoufles. Au mieux, j'ai connu ce sentiment rempli de reconnaissance en regardant Elle écrit au meurtre (Murder, she wrote). Sauf que, dans ces émissions, le déroulement de l'enquête était limpide et n'avait pas besoin de faux-fuyant, les solutions claires et sans ambiguïté, et Madame Fletcher brillait d'astuce et d'intelligence.

Ma note: 3/5