Le club des polarophiles québécois

L'évangile du billet vert (de Larry Beinhart)

JH (novembre 2010)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 2008 (Salvation Boulevard).
  • Date de l'édition française: 2010 (Gallimard - Série noire, 377p)
  • Genre: thriller sociologique.
  • Mots-clés: religion, croyances, arnaques.
  • Personnage principal: Carl Vanderveer, détective privé et croyant chrétien évangélique.
  • Résumés et commentaires (tous élogieux, et à juste titre): ici et et encore .

À mon avis

J'avais déjà lu avec plaisir, de cet auteur américain, Le bibliothécaire (Grand prix de littérature policière 2005). Mais là, nous n'avons pas seulement affaire à un bon polar, mais à un grand roman. Rares sont, en effet, les romanciers qui non seulement ont une bonne histoire et savent bien la raconter mais qui, en plus, ont quelque chose à dire et savent provoquer la réflexion en apportant un regard différent sur un sujet moral ou social. Ici, on en tient un. Joie!

Carl, narrateur et personnage principal est, pour le paraphraser lui-même, un détective privé chrétien évangélique qui bosse pour un avocat juif qui défend un gosse musulman faussement accusé d'avoir tué un athée militant. La table est mise pour un roman à thèse parfaitement maîtrisé, intelligent et émouvant à la fois.

L'intrigue proprement polar (la mécanique romanesque, si l'on peut dire) est rigoureusement montée et suit la recette éprouvée du thriller de bonne tenue. Mais ce n'est pas ce qui fait ressortir ce roman du lot considérable du tout venant des polars corrects. Et, finalement, ce n'est pas la raison d'être première de ce roman.

Le génie de l'auteur, dont on peut valablement supposer qu'il est un athée convaincu, c'est de nous faire aborder son histoire à travers les yeux d'un croyant authentique et sans verser dans la caricature. Tout le roman est l'histoire du dilemme de Carl, un type bien, qui tient à sa foi, qui aime sa femme et sa fille mais (et tout est dans ce mais) a une conscience morale et recherche la vérité. Celle de Jésus, mais aussi celle des faits. Que se passe-t-il quand le conflit s'installe entre ces piliers de sa vie actuelle? Largué et même menacé par sa communauté chrétienne, manipulé par son pasteur, ébranlé dans sa foi, plus sûr de rien, pas même de la loyauté de sa femme quand elle a à choisir entre lui et son pasteur, Carl se retrouve seul, en quête de réponses - policières mais aussi philosophiques et morales. Et il doit affronter des tentations; celles de la chair mais aussi celles de la lâcheté ou du conformisme. Le tout raconté dans un style nerveux et efficace, sans la moindre longueur et sans l'humour convenu qui semble devenu la norme dans ce genre de polar narré à la première personne. Pas de pages en italiques, pas de flashbacks, pas de narrations croisées: une écriture pure et classique où rien ne vient distraire du propos.

Ce roman, finalement, c'est l'histoire du lent passage d'une morale de conformité à une morale humaniste. En assumant les vertiges, les vides, les doutes, la solitude et les dégâts qui viennent avec. C'est également une charge sociale contre l'hypocrisie et l'immoralité des preachers évangélistes. On peut trouver l'équivalent dans des essais philosophiques comme ceux de Richard Dawkins, de Sam Harris ou de Christopher Hitchens. On peut trouver l'équivalent dans plusieurs romans psychologiques. Mais réussir le coup dans un polar parfaitement classique, sans didactisme, sans forcer le trait et en ne perdant jamais de vue qu'il y a aussi une histoire à faire progresser, alors chapeau!

La qualité de ce roman se trouve même dans la fin, où l'auteur doit choisir entre boucler son histoire de façon à satisfaire le lecteur ou respecter la logique de son personnage. Et là aussi, chapeau!

Ma note: 5/5 et Coup de coeur.