Le club des polarophiles québécois

L'interprétation des meurtres (de Jed Rubenfeld)

MD (octobre 2009)


En un coup d'oeil


À mon avis

C'est le premier roman de l'Américain Jed Rubenfeld, professeur de droit à l'Université de Yale et rédacteur d'une thèse sur Freud à Princeton. Le titre est un clin d'œil à L'Interprétation des rêves de Freud (1899) et l'histoire se passe au moment des Clark Lectures (1909), série de conférences données par Freud aux étudiants en médecine de l'Université Clark pour faire comprendre les idées de base de la psychanalyse. Le souci de Rubenfeld d'insérer l'action dans un contexte historique bien marqué et décrit avec un plaisir évident, assorti de quelques libertés fort acceptables (d'autant plus que c'est l'auteur lui-même qui les souligne), est une des réussites de ce livre : non seulement la ville de New York est reconstituée avec brio dans ce qu'elle a de plus fascinant et de plus répugnant, mais les relations entre les pionniers de la psychanalyse, traitées avec un certain humour (particulièrement dans le cas de Jung, qui frise peut-être la caricature, mais Rubenfeld répliquerait sans doute qu'il l'a bien mérité), parviennent à faire comprendre des divergences théoriques plus aisément que bien des raisonnements.

Le traitement de l'intrigue est un peu dépaysant : d'une part, l'inspecteur Littlemore et le docteur Younger, chacun de son côté, s'efforcent de mener une enquête rigoureuse comme dans un polar de Connelly ou de Mankell (ou de Rankin, Perry...). D'autre part, c'est comme si l'époque (fin XIXe-début XXe) déteignait un peu sur le style du roman, ce qui n'est pas désagréable en soi, en introduisant déguisements et passages secrets, en faisant défiler un grand nombre de personnages de tous les milieux sociaux, en multipliant les fausses pistes et les beaux hasards. Le rythme est ralenti aussi par les centres d'intérêt de l'auteur qui se déplacent du milieu médical au milieu policier, de l'interprétation des symptômes de Nora à l'interprétation des indices par Littlemore, des réflexions sur la fameuse tirade de Hamlet à la description sociologique des bas-fonds de Chinatown. Bien sûr, tous ces éléments sont reliés d'une certaine façon. Mais il est à craindre que les amateurs de vrais thrillers, qui se méfient des ornements historiques, trouveront que Rubenfeld cherche à en faire trop; et que les amateurs de polars historiques seront un peu mêlés par les croisements des intrigues et l'aspect rocambolesque du déroulement.

Pour ma part, je crois que Rubenfeld a plusieurs cordes à son arc : bon descripteur, sensualité aguichante, imagination débordante, plaisir de l'écriture. J'ai eu du plaisir à lire son roman, parce que j'aime bien Freud, la psychanalyse, la ville de New York. Mais ce n'est pas le même genre de plaisir que quand je lis Nesbo ou Mankell, où peu m'importe la toile de fond historique. Ni le même genre de plaisir que je retrouve dans les polars historiques d'Ellis Peters ou d'Ann Perry, où le dévoilement de l'intrigue correspond rigoureusement à une nécessité incontestable. J'estime donc que le meilleur de Rubenfeld est à venir.

Ma note: 3,5 / 5