Le club des polarophiles québécois

Meurtres à la carte (de Kthy Reichs)

MD (janvier 2011)


En un coup d'oeil


À mon avis

J'avais déjà tenté de lire un Kathy Reichs il y a quelques années, mais j'avais abandonné en cours de route, je ne me rappelle pas pourquoi. Puis, j'ai vu quelques épisodes de Bones (série créée en 2005) à la télé, inspirés des romans de Reichs et produits par elle, et, même si ce ne sont pas des séries qui valent la peine d'en faire un compte rendu, comme je l'ai fait pour Murdoch et pour Barnaby, j'y trouve quelque chose de plaisant qui m'a donné le goût de reprendre un roman pour voir.

La romancière Kathy Reichs est assez populaire au Québec, parce que certains de ses récits se passent à Montréal ou aux alentours. Son héroïne, Temperance Brennan, vit près du Vieux Montréal, dans le bout de Crescent et René Lévesque (ou Sherbrooke), et nous connaissons les restaurants et les boutiques du coin que nous fréquentons nous aussi. En fait, elle a passé une partie de sa vie et de son travail (comme anthropologue judiciaire) entre Charlotte, en Caroline du Nord (Office of the Chief Medical Examiner et prof à L'Université de Caroline du Nord) et Montréal (Laboratoire des Sciences juridiques et de Médecine légale de la province de Québec). Elle s'absente souvent de son travail de professeur pour donner des conférences un peu partout dans le monde, et pour travailler sur le terrain : elle a ainsi visité professionnellement le Rwanda pour témoigner sur le génocide au tribunal institué par les Nations-Unies; elle a aussi investigué les restes qui jonchaient Ground Zero pour tenter de procéder à des identifications. Née en 1950 à Chicago, il semblerait qu'elle vit maintenant au Québec. Elle a commis 14 romans, dont Meurtres à la carte est le septième.

Disons-le d'emblée, il n'y a pas grand rapport entre la série télévisée et les romans : la série est meilleure (Kathy Reichs trouve plus de ressemblance entre elle et la Tempérance de Bones qu'entre elle et le personnage principal du roman.) . D'abord, parce que les informations scientifiques y passent mieux (mieux illustrées et fournies par plusieurs spécialistes attachants); aussi, parce que les personnages autour de Brennan ont une certaine épaisseur, une personnalité bien définie; de plus, le personnage de Bones (surnom de Temperance Brennan) est plus intéressant; et son collègue Booth ne se réduit pas, comme Ryan, à un pâle faire-valoir. Et le rythme de chaque épisode de la série est correct, ne traîne pas en digressions inutiles et en apitoiements introspectifs ou en effusions sentimentales toujours inachevées.

Alors que les romans de Reichs (en tout cas, celui-ci, mais on m'a dit que c'était assez vrai pour les autres aussi, même que dans Meurtres à la carte les jérémiades sentimentales étaient écourtées), tout tourne autour de Brennan, un peu comme si on avait affaire à un journal personnel. Peu de ses états d'âme nous sont cachés. C'est d'ailleurs le principal procédé narratif utilisé par l'auteure pour nous introduire dans une scène de crime : alors que McDermid nous lance directement dans l'horreur, Brennan nous dit que ce qu'elle voit est horrible, que ses cheveux se dressent sur sa tête, qu'elle en a rêvé toute la nuit, que ses jambes en tremblent… La conséquence immédiate est que les autres personnages sont sommairement caractérisés : les ciboles! et les enfants de chienne! De Charbonneau; les allures snobes et les vêtements précieux de Claudel; les intonations de Ryan dures comme de l'acier trempé. Le personnage de Brennan lui-même est plutôt pathétique : toujours en train de se morfondre, se reprocher ses lacunes professionnelles, ses insuffisances avec Ryan, ses négligences avec sa fille ou son amie Anne, son incapacité à prendre la bonne décision avec, par exemple, les victimes. Je veux bien croire que c'est une ex-alcoolique qui est donc encore davantage dépendante affective mais, comme elle le sait, elle devrait éviter de prendre des initiatives imprudentes pour le moins, et on comprend mal l'intérêt que Ryan a à l'amener en mission avec lui, alors que sa spécialité est vraiment de faire parler les squelettes plutôt que de comprendre les gens bien en chair.

Les descriptions de l'hiver montréalais sont correctes (même si les quelques jours de suite à -30 sont peu fréquents), les informations tirées de l'actualité comme l'affaire Bernardo-Homolka ou l'histoire de la pègre montréalaise sentent un peu le plaqué et, même si Reichs connaît assez bien le milieu montréalais et, probablement, quelques universitaires canadiens français, certaines expressions des policiers sont très peu plausibles. Mais, à côté des Vents de Neptune de Vargas, ce n'est vraiment pas grave.

Et, finalement, c'est moins la traduction que la composition qui ne va pas. L'intrigue est mal construite, mais comme si ce n'était pas tellement ça qui intéressait l'auteure. On a droit à plusieurs déplacements de Brennan (surtout de chez elle au travail et réciproquement), mais on ne peut pas dire pour autant que l'action évolue. La thématique des esclaves sexuelles est accrocheuse, mais ce n'est pas facile d'en faire un récit aussi plat. Comme quelqu'un qui déclarait que rien n'était plus démoralisant que les cours de Kinsey sur la sexualité. Je ne veux pas dire que le roman devrait être plus excitant, mais certainement plus horrifiant, plus dégoûtant, ce qui n'est pas le cas. Nous restons trop à l'extérieur. Même les scènes d'interrogatoire sont détournées : pendant que Ryan interroge Rose Fisher, Brennan va téléphoner à Claudel pour résumer la première partie de l'interrogatoire. On va jusqu'à nous faire le coup des deux suspects qui se ressemblent tellement qu'ils peuvent être interchangeables.

On connaît des gens qui ne lisent pas des romans policiers parce qu'ils trouvent qu'ils perdraient ainsi leur temps, et qui préfèrent parcourir des livres d'informations. Dans ce cas-ci, on a l'impression que c'est l'auteure qui ne veut pas faire de vrais romans policiers parce qu'elle aurait l'impression d'abdiquer de sa fonction privilégiée de scientifique chargée d'instruire en matière criminelle. Ne partons pas de chicane sur vrais romans policiers : je veux juste dire : une histoire plausible (le fait de partir d'événements réels n'est pas une garantie : un roman c'est plus qu'un cas rapporté), des enchaînements cohérents, des personnages crédibles (donc qui ne sont pas des caricatures); des suspects intelligents; une enquête minutieuse; des rebondissements qui nous désarçonnent; une élucidation qui parvient à coller ensemble tous les morceaux épars, semés çà et là au cours du récit (cf. Jo Nesbo).

Par contre, si votre intérêt primordial vous pousse plutôt vers l'étude du développement d'un squelette, la datation au carbone 14, l'analyse isotopique du strontium, vous allez être servis. Ceci dit, c'est moins l'abus de ce procédé qui affaiblit l'œuvre, ou l'usage d'expressions improbables comme le Mussolini en jupon ou le temps est plus frisquet qu'un téton de sorcière de Charbonneau, ou de nombreux clichés, que le ton, le rythme et la cohésion de la composition. On voudrait bien mais ce n'est pas facile d'y croire.

Ma note: 3/5