Le club des polarophiles québécois

Misterioso (de Arne Dahl)

MD (février 2010)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 1999 (Misterioso)
  • Date de l'édition française: 2008 (Seuil), (Points 2009, 381 p.)
  • Genre(s): procédure policière
  • Mots-clés: tueur en série, crimes financiers, mafia russo-estonienne
  • Personnage principal: Paul Hjelm, du Groupe A
  • Résumé: ici
  • Commentaire:

À mon avis

Un nouvel auteur suédois de polars, c'est toujours un moment émouvant et prometteur. Sans s'attendre à tomber nécessairement sur un Mankell ou un Larsson, on doit admettre l'existence d'un grand nombre d'atomes crochus entre nous du Québec et nos cousins nordiques européens. Il est peut-être exact que, pour façonner la mentalité d'un peuple, les facteurs géographiques sont plus importants que les facteurs historiques. La littérature scandinave ne nous paraît pas plus exotique que la musique de Sibelius, Grieg et Nielsen.

Dahl a reçu un prix important pour sa série du Groupe A, en 2007; il avait alors écrit une dizaine de ces romans depuis 1999. Misterioso fut son premier en 1999. Traduit en français en 2008. Qui sème le sang est le deuxième à paraître, traduit en français en 2009. Le titre Misterioso est directement emprunté au titre du tube de Thélonious Monk, même si la copie que trimballe le tueur a été augmentée et produite illégalement; il est conseillé d'écouter ce cd de Monk, même si vous ne mettez pas la main sur la copie piratée.

Comme plusieurs romanciers suédois, Dahl est sensible au problème des minorités, de l'immigration, et du racisme qui en découle, même si dans son premier roman la critique vise plus directement les conséquences désastreuses du capitalisme financier, ceux qui font de l'argent non pas en produisant des biens de consommation, mais en faisant profiter l'argent des autres par des placements via les banques, la bourse, les caisses de dépôts, etc. Du krach des années 90 au scandale des banques américaines qui a ébranlé toute la planète, ce monde mystérieux des enveloppes brunes, de l'argent qui fait de l'argent et des bandits à col blanc est devenu un terrain d'exploitation privilégié pour les auteurs de polars.

D'où l'émotion ambiguë de la population de Stockholm quand des magnats suédois de la finance commence à se faire assassiner par un implacable justicier. S'en suivent des scènes qui ont, il est vrai, un air de déjà-vu, mais habilement construites, bien enchaînées, et menées selon un rythme qui s'accorde aux phases de l'enquête. Scènes types : le policier Paul Hjelm (personnage central du roman) nous est présenté au cours d'une prise d'otage où il intervient à la Dirty Harry (sauf qu'il ne tue pas le fauteur de troubles et qu'il vomit après l'avoir tiré : sensibilité scandinave plutôt que dureté américaine!); formation du groupe A, un peu comme se constituent les Seven Magnificent; chacun vient d'un coin de la Suède et un de Finlande; on soupçonne que, dans chaque cas, les qualités ne manquent pas, mais le milieu d'où ils arrivent ne regrette pas leur départ; et chacun se démarque de chacun par une caractéristique spécifique : le chef Hultin, qui peut passer de l'élégance du diplomate à la brutalité efficace à court terme; l'armoire à glace Nyberg, ex-Monsieur Suède, qu'essaient d'éviter même les automobiles; Kerstin Holm, seule femme du groupe, de Göteborg, infatigable et opiniâtre; l'expérimenté Norlander de la police de Stockholm, acharné jusqu'à la témérité; le finlandais Söderstadt, avocat et spécialiste de la finance, presque trop cultivé; le basané Jorge Chavez, le plus jeune du groupe, celui qui connaît le café, le plus ethnique aussi, dirait-on, même si, pour un Suédois de souche, le Finlandais du groupe apparaît aussi comme, sinon un étranger, du moins un étrange; finalement, Paul Hjelm, un gars ben ordinaire et un policier efficace, typique aussi (ça va mal avec sa femme et ses enfants, les temps libres lui font peur, son travail est sa planche de salut). Dahl se projette surtout en lui, même s'il confie avoir mis beaucoup de lui-même dans chaque personnage, y compris Holm, sa part féminine.

Autres scènes-types : les enquêtes dans toutes les directions, les interrogatoires toujours à refaire parce qu'il y a toujours quelqu'un qui ment ou qui n'a pas tout dit; puis, le trou noir : on s'en va nulle part, et le roman est presque fini! Enfin, une lueur au bout du tunnel, et là c'est le crescendo rossinien final.

Tout cela est bien articulé et même les longueurs sont voulues, pour que le lecteur sente lui aussi que, diable!, on a donc perdu bien du temps sur cette fausse piste, et ça devient démoralisant! C'est en ce sens que le rythme de l'écriture, comme celui de l'orchestre, intensifie le sentiment : on observe, on accroche, on sourit (l'auteur y va souvent d'un humour léger : au moment où chaque membre du Groupe se présente, on arrive à Nyberg : Gunnar Nyberg, de la police de Nacka , dit Gunnar Nyberg, de la police de Nacka. Mais aussi, on se décourage, tourne en rond, espère et, finalement, on tourne les pages avec précipitation jusqu'à ce que le dénouement soulage nos anxiétés.

Au cours du roman, les personnages gagnent en profondeur et attirent sans mal notre sympathie. L'ensemble est réaliste, peut-être même un peu trop : il manque probablement, pour moi, le grain de folie de Nesbo, la complexité rigoureuse de Mankell, l'extravagance de Larsson. Peu importe : Dahl a suffisamment de qualités pour satisfaire nos exigences et justifier un revenez-y.

Ma note: 4/5