Le club des polarophiles québécois

Origine (de Diana Abu-Jaber)

JH (novembre 2010)


En un coup d'oeil


À mon avis

Je ne connaissais pas l'auteure; c'est d'ailleurs son premier roman traduit en français. Ce sont les éditions Sonatine qui m'ont attiré. Cette jeune maison d'édition publie généralement des polars d'excellente qualité, provenant d'auteurs presque inconnus en France et qui font différent, généralement plus littéraires que la production courante.

C'est encore le cas avec ce roman, certainement original et soigné sur le plan de l'écriture. Cela dit, on aime ou on n'aime pas; vous aurez compris que j'ai plus ou moins aimé, malgré un départ passionnant.

Lena est hantée par ses origines, d'où le titre du livre. Ignorante des circonstances de sa naissance, adoptée par un couple qu'elle n'est jamais parvenue à considérer comme ses vrais parents, il semblerait qu'elle ait été, tout bébé, seule survivante d'un accident d'avion dans la jungle, recueillie par des grands singes et qu'elle ait survécu (comme certains enfants-loups célèbres) jusqu'on la trouve par hasard à l'âge de deux ans et qu'on la confie en adoption.

De ce séjour dans la jungle, elle n'a gardé aucun souvenir conscient, sinon quelques flashes fugaces, mais cela l'a rendue quelque peu étrangère au monde des humains dits normaux. Elle y a gagné des sens (ouïe et surtout odorat) extrêmement développés et des capacités perceptuelles étonnantes; mais elle en paie le prix par une inadaptation aux rapports humains, ce qui l'a amenée à choisir un métier (technicienne en empreintes) où elle peut évoluer avec des certitudes scientifiques, dans la solitude d'un labo et en exploitant ses talents d'observation et de raisonnement (et elle est sacrément douée!). Quant à sa vie privée, elle est évidemment quasi-inexistante. Et elle se questionne sur ses origines.

Il y a aussi une enquête policière à laquelle elle participe: une série suspecte de morts subites du nourrisson, trop nombreuses pour être normales (et qui, évidemment, ne le sont pas, on l'apprendra assez tard dans le roman, alors qu'on l'avait deviné depuis le début!).

L'intrigue proprement policière est correcte, sans plus, piétinant longuement avant de se boucler en catastrophe vers la fin. En fait, elle est un prétexte au roman de ses propres origines. C'est comme si l'auteure avait eu au départ l'idée d'un roman psychologique sur le personnage de Lena et s'était décidée ensuite à incarner cela dans un polar; l'intégration n'est pas vraiment réussie. Et, comme polar, sans être mauvais, ce n'est rien de mémorable.

L'aspect original (et la vraie raison d'être du roman, à mon avis), c'est la description des difficultés d'adaptation de Lena à la société actuelle et à la société des humains en général et ses efforts maladroits pour composer avec sa différence. Non seulement la romancière explore cet univers psychologique étrange en profondeur, mais elle traduit dans la trame romanesque même la perception décalée de son personnage. Les notations sensorielles, olfactives notamment, sont omniprésentes. Il y a aussi de longues et minutieuses descriptions des environnements et des lieux physiques et de leurs variations, traduisant le fait que Lena est perpétuellement à l'affût des changements microscopiques dans un monde hostile et qu'elle ne comprend pas tout à fait - comme on imagine que les singes peuvent le faire dans la jungle. De même, les dialogues sont constamment interrompus par des parenthèses où l'auteur insère, comme au théâtre, des notations sur la gestuelle des personnages. Bien sûr, Lena décode bien plus facilement le non verbal que les mots, Bon, on a compris!

Et là, on clique ou pas. Parce que ce parti-pris stylistique est étiré sur les 500 pages du roman, et, en ce qui me concerne, ces descriptions microscopiques finissent par devenir lassantes et répétitives. J'ai eu la même impression que devant, sur un tout autre registre, les romans de Lionel Shriver: c'est bon, c'est fouillé, c'est bien écrit, c'est original; mais que de longueurs! À moins d'aimer déguster ces longues descriptions, chapitre après chapitre, pendant que l'enquête policière se traîne, on regrette qu'un véritable éditeur n'ait pas forcé l'important travail d'élagage et de resserrement qui s'imposait. Dommage! Mais peut-être que vous aimerez ...

Ma note: 3,5 / 5