Le club des polarophiles québécois

Oscar Wilde et le cadavre souriant (de Gyles Brandreth)

MD (mai 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 2009 (Oscar Wilde and the Dead Man's Smile).
  • Date de l'édition française: 2010 (10/18 poche, 415p)
  • Genre: thriller historique et littéraire,
  • Mots-clés: théâtre, morts mystérieuses, milieu artistique.
  • Personnage principal: Oscar Wilde, écrivain observateur.
  • Résumé par l'auteur lui-même: ici.

À mon avis

Gyles Brandreth, né en 1948 dans un hôpital militaire britannique en Allemagne, a commencé à écrire des polars sur le tard. Installé en Angleterre depuis 51, il reçoit une éducation française et anglaise. Sa connaissance de la France et de la langue française est étonnante; en le lisant pour la première fois, j'ai vérifié qu'il s'agissait vraiment d'une traduction, parce que son roman ressemble vraiment aux romans policiers français écrits à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle. J'ai pensé surtout à Gaston Leroux. Comme le dit Amandine Geraud, co-organisatrice des Arcanes du polar français avec Sandrine Montupet : Nous avons voulu par ce choix mettre en avant la spécificité du roman policier "à la française" par opposition au "polar anglo-saxon", ce dernier plus axé sur l'efficacité, la technique d'investigation, le premier plus tourné vers la psychologie des personnages.

Nous passons des États-Unis, où Oscar Wilde donne une série de conférences de la Nouvelle-Orléans jusqu'au Canada en 1882; retour en Angleterre, puis à Paris où l'essentiel de l'histoire se déroule. Wilde, dont Brandreth est un fin connaisseur, probablement une sorte de réincarnation, est au centre de cette série policière dont Le cadavre souriant est la troisième publication. Il s'est lié au grand comédien Edmond La Grange (et à sa troupe) et fréquente régulièrement Sarah Bernhardt. Tout tourne autour de cette bohème décadente mais riche de cette fin de siècle. Un critique mentionnait qu'il trouvait Wilde bien prétentieux, hautain, et toute cette faune plutôt antipathique; il faut savoir le contexte auquel nous avons affaire : en Angleterre comme en France, nous sommes sortis du romantisme et, par opposition, se développent des tendances symbolistes, anarchistes, nihilistes, la théorie de l'art pour l'art ou le culte de la beauté, en même temps que le plaisir équivoque de fréquenter les bas-fonds : « Je veux goûter chacun des fruits de chacun des arbres du verger du monde », répète souvent Wilde.

C'est dans ce contexte que les morts se multiplient, sans qu'on sache s'il s'agit de meurtres, de suicides ou d'accidents. Comme le mentionnait plus haut Geraud, c'est vrai que la technique et l'efficacité d'investigation du commissaire Malthus, homme charmant et distingué par ailleurs, ne brillent pas par leurs résultats; il se fait damer le pion par le jeune Wilde (28 ans). Et c'est l'ami d'Oscar, Arthur Conan Doyle, qui élucidera les détails supplémentaires.

L'écriture est vive, phrases courtes à la Camus; les 27 chapitres portent un titre orienteur; l'auteur accorde plus d'importance aux atmosphères et à la psychologie des personnages, je dirais plutôt à la sociologie des personnages, parce que la perception que nous en avons tient plus à leurs actes qu'à ce qu'on en dit, d'autant plus que, dans ce milieu de comédiens, il est difficile de distinguer le vrai du faux, le réel et l'apparence.

On devine que ce n'est pas le genre de polars qui va plaire à tout le monde. Pour beaucoup, la dimension culturelle sera jugée trop importante par rapport à l'aspect policier comme tel. Les énigmes n'en existent pas moins et recevront des élucidations satisfaisantes. Mais notre sensibilité ne risque pas d'être chamboulée : aucun lecteur ne craint vraiment pour la vie d'Oscar et la multiplication des cadavres ne nous émeut pas trop. Pour apprécier ce livre, il faut le déguster comme on goûte des huîtres avec du champagne.

Ma note: 4/5