Le club des polarophiles québécois

Seul le silence (de R.J. Ellory)

JH (11 janvier 2008)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 2007 (A Quiet Belief in Angels).
  • Date de l'édition française: 2008 (éd. Sonatine).
  • Genre: polaroïde.
  • Mots-clés: tueur en série, erreur judiciaire.
  • Personnage principal: Joseph Vaughan, écrivain.

À mon avis

Roger Jon Ellory est un auteur britannique, mais qui situe ses intrigues aux États-Unis (ici, dans une petite ville de Georgie, puis à New York). Seul le silence est son cinquième roman, mais le premier traduit en français et celui qui, visiblement, lui apportera une notoriété internationale. Sur les blogues policiers francophones, c'est clairement l'auteur de l'année.

C'est un assez maigre polar, mais un magistral polaroïde. Oui, il y a un tueur en série qui, sur les quelque trente années que dure le roman, accumule les meurtres de petites filles. Mais ce n'est ni son identité (révélée à la toute fin du roman, et de façon un peu bâclée) ni son modus operandi, ni les mobiles du tueur (qui demeurent obscurs, même à la fin) qui importent. L'aspect policier de l'enquête est secondaire, voire minimal, et la police et le système judiciaire n'en sortent pas grandis, loin de là. Mais l'intrigue polar proprement dite n'est qu'un prétexte, et pas très important.

L'essentiel du roman, c'est l'impact de ces meurtres successifs sur la psyché du personnage principal, que l'on voit évoluer depuis une tendre enfance dans une petite ville jusqu'à une carrière d'écrivain à New York, après un cortège considérable d'épreuves, d'amours, d'amitiés, de morts, de découvertes et d'échecs. Seul le silence est d'abord un roman d'apprentissage dans la grande tradition. Et ensuite l'histoire d'une obsession: celle qui anime Vaughan pour trouver une explication à ces meurtres

La narration est impressionnante: les critiques ont évoqué à son propos les grands romanciers américains comme Mailer, Faulkner, Capote, Irving, et ce n'est pas excessif. Les personnages sont tous profondément vivants, attachants pour la plupart et Ellory sait faire vivre avec intensité et émotion les terreurs enfantines, les premiers émois amoureux, les amitiés viriles, bref, les moments importants et significatifs d'une vie. Comme lecteur, on tombe amoureux des femmes du narrateur, on ressent de l'estime pour ses amis, on frémit et on vibre avec lui. De même pour les climats et les univers romanesques: celui, fermé et étouffant, de la petite ville sans avenir aussi bien que celui de la bohême de Brooklyn. L'écriture est soignée, souvent lyrique et poétique, mais jamais gratuite, une qualité rare dans le monde du polar. Quelques longueurs et les inévitables pages en italiques (une manie déplaisante qui a hélas tendance à se répandre), mais qui sont plus que compensées par une écriture magistrale et une capacité d'évocation remarquable.

Si vous abordez ce roman comme un polar conventionnel, vous serez déçus et vous vous ennuierez sans doute pendant de longues pages: pas d'indices significatifs, l'identité du tueur qui devient assez tôt prévisible, pas d'enquête digne de ce nom, des policiers assez peu présents et généralement incompétents. Mais si vous le considérez comme un polaroïde et savez apprécier la griffe d'un grand écrivain, original, poignant et évocateur, vous vous délecterez. S'il faut attribuer à ce roman une note qui ne tienne compte que de l'aspect polar, ce serait un 3. Mais cela ne rendrait absolument pas justice à cette oeuvre majeure et forte, qui nous hante encore même une fois refermée la dernière page.

Ma note: 4,5 / 5 et Coup de coeur polaroïde.


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