Jacques Bissonnette

Sanguine
Gueule d'ange

Sanguine

MD (septembre 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 1994 (VLB), 2002 (A Lire, 244p.).
  • Genre: Procédure policière et thriller
  • Mots-clés: disparition, mutilations, drogues, sado-masochisme.
  • Personnage principal: Julien Stifer, lieutenant au SPCUM.
  • Résumé: ici.

À mon avis

Nos romans policiers québécois, particulièrement ceux des Éditions A Lire, ne sont pas faciles à trouver. J'aimerais bien que ce soit parce que sitôt arrivés sitôt achetés, mais je crains que la réalité ne soit moins encourageante. Je suis loin d'être chauvin et je ne me gêne pas pour mettre des 2.5 à des polars québécois mais force est de constater que, même dans de grandes librairies comme Renaud-Bray ou Olivieri, à côté de dizaines de romans policiers américains ou européens particulièrement médiocres, on peine à trouver des romans du terroir de qualité supérieure comme ce Sanguine de Jacques Bissonnette.

A partir de la page 87, et alors que je venais de me coucher fatigué, je n'ai pas pu le lâcher jusqu'à la fin, trois heures en ligne! Un véritable page turner, comme dirait Spehner. Un coup de fouet! J'aime bien pourtant les romans historiques plus raffinés comme ceux de Peters, Perry, Parot ou Chauvy quand, sans sacrifier le plaisir du dévoilement d'une intrigue mystérieuse, on profite d'un dépaysement temporel en côtoyant des personnages et des modes de vie qui, mine de rien, enrichissent notre culture et notre connaissance de la condition humaine. Toutefois, j'ai besoin aussi de ressentir l'adrénaline produite par un thriller comme celui de Bissonnette, qui secoue notre carcasse et soumet nos nerfs à rude épreuve.

L'enquête du lieutenant Stifer se déroule à Montréal; il appartient à la SPCUM et pourrait connaître Charlie Salter de la police de Toronto (voir les polars d'Eric Wright). Les deux aiment travailler seuls même s'ils se retrouvent souvent en équipe. Stifer est plus costaud et durement stimulé par la disparition de sa fille de 13 ans deux ans auparavant. Il tourne les coins abruptement et s'attache à sa proie comme un pitbull. Bref, on l'aime bien. Et l'univers dans lequel il déplace beaucoup d'air est bien décrit : milieu de la drogue dans Côte-des-Neiges, boutiques et bars pornos, milieu bourgeois de Notre-Dame-de-Grâces et d'Outremont. On reconnaît le Montréal de Bissonnette comme le Québec de Chrystine Brouillet.

C'est la composition de l'ensemble qui nous séduit : atrocité des crimes difficilement explicable, personnages crédibles et intéressants, va-et-vient efficace des révélations et des nouveaux problèmes, montré-caché par excellence, et tout ça à un rythme d'enfer, sans oublier de temps en temps une petite mise au point au cours de laquelle le lecteur profite d'un répit pour se remettre les idées en place.

Bissonnette n'a écrit que 5 romans depuis 1986, les trois derniers avec l'inspecteur Julien Stifer. Le dernier, dont j'ai déjà dit un mot, Badal, date de 2006. C'est vraiment dommage parce qu'il jouit d'une qualité rare : celle de savoir se mettre dans la peau de son lecteur. D'où l'efficacité des effets qu'il produit.

Ma note: 5/5 et Coup de coeur.

Sanguine
Gueule d'ange

Gueule d'ange

MD (novembre 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 1998 (Libre expression), 2001 (A Lire, 337p.).
  • Genre: Procédure policière et thriller
  • Mots-clés: Fugues, piercing, drogues, sans abri.
  • Personnage principal: Julien Stifer, lieutenant au SPCUM et Anémone Laurent, son assistante.
  • Résumé: ici.

À mon avis

Le roman précédent de Bissonnette, Sanguine, m'avait révélé tout un monde et tout un auteur. Gueule d'ange a eu beaucoup de succès également, et c'est sûr que c'est un bon polar de type enquête policière, mais le coup de foudre ne dure qu'un temps.

On retrouve le Montréal du bas de la ville, sous le pont Jacques Cartier, de Amherst à Iberville, les parcs fréquentés par les itinérants, fugueurs et drogués, les abris délabrés qui servent de logis aux squatters, les boîtes de nuit peu fréquentées par nos lecteurs. Univers glauque aussi des travailleurs/travailleuses de rue, des piqueries et des sites d'échange de seringues. Bissonnette sait reconstituer des lieux louches et des atmosphères sordides. Et faire sentir l'agressivité accumulée chez ces marginaux contre les forces de l'ordre et la solitude désespérée des jeunes sans abri qui doivent accepter des initiations humiliantes et se livrer à des comportements avilissants pour avoir l'impression de faire partie de la gang.

Souvent les amateurs de polars historiques ont l'impression déculpabilisante d'apprendre en même temps qu'ils se divertissent. Comme si le divertissement en soi, l'imagination pure, le plaisir rapide d'un vin nouveau manquait de justification. Pour des raisons analogues, il arrive qu'un auteur d'un type de littérature longtemps dévalorisé éprouve aussi ce sentiment, se souhaite socialement plus utile, et je parierais que c'est le cas, cette fois-ci, du sympathique Jacques Bissonnette. Ce tableau d'un milieu décadent, en effet, est brossé avec une précision réaliste indiscutable, une véritable étude sociologique des jeunes en difficulté, à côté de laquelle les attitudes des policiers frisent parfois la caricature. Stifer ne travaille plus en lone ranger comme dans Sanguine et ses collaborateurs immédiats, Mancini et Bernard, sont très rapidement esquissés, tandis que les autres membres de l'escouade (figures classiques de l'ambitieux, du violent, de l'antipathique…) servent de faire-valoir aux bons policiers. La nouvelle-venue Anémone Laurent, diplômée en criminologie juvénile, doit se tailler une place dans ce monde d'hommes, ce qui n'est pas facile, on s'en doute, pour une jeune femme aussi fragile que son chef est bourru. Stifer est, d'ailleurs, moins sympathique ici que dans Sanguine, comme si l'auteur avait voulu accentuer le contraste avec la bienveillante Anémone. L'enquête est, d'autre part, assez laborieuse et, sans doute pour que nous comprenions qu'ils doivent faire vite avant que la jeune Dahlia ne connaisse le même sort que ses deux amies, Stifer et Anémone ne brillent pas toujours par leur intelligence ou par leur prudence, ce qui pourrait bien passer dans un thriller épique, mais s'avère moins crédible dans une œuvre plus réaliste.

Un commentateur notait que ce roman pouvait être utile pour les parents : tout tourne autour de deux fugueuses assassinées et d'une troisième qui risque de l'être, empêtrées dans un milieu misérable et violent. Anémone distribue, discrètement mais sûrement, ses conseils aux jeunes filles et aux parents. On se croirait parfois dans un roman de Chrystine Brouillet, celle de Double disparition. Ce qui n'est pas un reproche mais une indication : ça ressemble parfois à un polar pédagogique.

Ces réserves mises à part, c'est bien écrit et bien composé. Un vrai documentaire qui ne manque pas d'intérêt. Mais j'ai préféré la dimension cynique de Sanguine à l'aspect pathétique de Gueule d'ange.

Ma note: 4/5