Benoît Bouthillette

La trace de l'escargot
La mue du serpent de terre

La trace de l'escargot

MD (avril 2009)


En un coup d'oeil

  • Date de publication: 2005 (éd. JCL, 364p)
  • Genre(s): roman d'enquête, suspense à connotation artistique.
  • Mots-clés: tueur en série, Francis Bacon (le peintre), mutilations.
  • Personnage principal: Inspecteur Benjamin Sioui, de la Sûreté du Québec.
  • Résumé et commentaire de Christine Fortier: ici.
  • Prix littéraire: Prix Saint-Pacôme 2005 du roman policier.

À mon avis

Ce premier roman de Bouthillette ne peut pas laisser indifférent : après les trois premiers chapitres, ou on embarque à fond de train ou on laisse tomber. Ça m'a d'abord fait penser aux Gommes d'Alain Robbe-Grillet, pastiche paradigmatique du nouveau roman, que j'avais relu quelques fois, me semble-t-il, sans comprendre finalement s'il y avait vraiment eu un meurtre. Puis, à James Joyce, à cause de la ponctuation et de la composition. Enfin, un peu à Pennac et son style débridé, sauf que je n'ai jamais réussi à apprécier Pennac, trop français je crois. Bref, ce que je veux dire, c'est : attendez-vous à lire quelque chose d'inhabituel, de déconcertant, où vous tournez les pages mais dans le sens contraire, pour essayer de saisir ce qui vous a passé sous le nez. Non seulement c'est écrit à la première personne (Malacci aussi écrit à la première personne, et ça n'a vraiment rien à voir), mais le lecteur est emmené à partager la perception mais surtout la temporalité pensante et vibrante de l'inspecteur Benjamin Sioui. En d'autres mots, nous entrons en contact avec les données immédiates de la conscience de Sioui. Ces données sont immédiates dans la mesure où elles ne sont pas encore filtrées et ordonnées par la raison. Se mêlent donc émotions, fragments de réflexion, souvenirs, anticipations, réflexes, cris du cœur... bref associations libres, matière brute que nous recevons un peu brutalement. Absorber et décanter, telle est la contribution nécessaire du lecteur.

Et que se passe-t-il dans cette conscience? Évidemment, les informations relatives à des meurtres en série d'un obsédé du peintre Francis Bacon dont il reproduit les toiles les plus macabres; les relations avec les collègues de la Sûreté et de la GRC, son ami Pierre, le surprenant archiviste Martin, le colossal et bourru Grig, son patron DdF, la légiste Laetitia dont il est follement épris, et quelques autres personnages, rapidement esquissés, mais qui sont plus que des schémas ou des caricatures; puis, des digressions philosophiques sur l'art ou le sens de la vie, sans prétention, sans intention d'édifier ou de convaincre; ce sont celles de Sioui, un homme ordinaire qui a développé sa sensibilité artistique, plus ou moins sympathique, un Huron-Montagnais plus québécois que mon voisin Jos Bleau malgré une nostalgie qui affleure parfois mais qui prendra plus de place quand il aura dépassé la cinquantaine et abandonné la coke; des commentaires sur l'architecture de certains édifices montréalais, la musique de Nirvana, les livres de Sollers, les spectacles électro-acoustiques, les Foufounes électriques, quelques bons restaurants du Vieux. Il ne s'agit vraiment pas de donner bonne conscience aux intellectuels purs et durs qui craignent de perdre leur temps en se divertissant à la lecture d'un polar (malgré des inside jokes comme l'allusion au docteur laborieux qui préconise l'éloge de la fuite). Plutôt une façon de montrer que Sioui est aussi, et d'abord, un homme qui vit, désire, rumine, observe, craint, jouit, s'écœure, se réconcilie avec lui-même et avec l'existence grâce au sentiment artistique et à Cuba, où il va faire le plein du silence, des couleurs, de la lumière. J'avoue que ça repose un peu des bourreaux de travail comme Bosch, Wallander, Erlendur, Rébus, Scarpetta et autres, dont la vie se réduit à leur travail, ce qui finit par les déprimer, de même que leurs lecteurs.

Ceci dit, on pourrait craindre que l'intrigue soit négligée au profit de l'écriture. Ce n'est pas le cas. Bien sûr, c'est moins acrobatique que chez Nesbo et moins affolant que chez McDermid. Mais le genre est respecté : pas de deux ex machina, des indices déchiffrables (pas plus faciles pour le lecteur que pour Sioui), une cohérence garantie et un final étonnant et satisfaisant. On ne s'identifiera pas à Sioui, mais on le reconnaîtra : un voisin correct, un peu bizarre sans doute, ne serait-ce qu'à cause de son horaire de travail, un gars qu'on préfère avoir de son bord plutôt que contre soi, assez réservé, mais poli quand il ne rêve pas.

Bouthillette (né en 67) a écrit un deuxième Sioui, La Mue du serpent de terre (Éditions La Bagnole, 2008), dont je dirai bientôt un mot, et un Sioui pour la jeunesse, La Nébuleuse du chat (La Bagnole 2007). Sa nouvelle Le Capuchon du moine a obtenu le Prix Alibis 2006.

Pour moi, c'est une première rencontre coup de foudre :

Ma note: 5/5


La trace de l'escargot
La mue du serpent de terre

La mue du serpent de terre

MD (juin 2009)

En un coup d'oeil

À mon avis

Quelle déception! Le mois dernier, j'avais été ensorcelé par La Trace de l'escargot, le premier roman de Bouthillette et j'avais immédiatement commandé La Mue du serpent de terre, deuxième enquête de l'inspecteur Benjamin Sioui (si on excepte le roman pour ados, La Nébuleuse du chat). Dans La Trace de l'escargot, même si nous étions aussi conviés à une fête du langage, l'intrigue se tenait, les personnages avaient une certaine densité, quelques rebondissements survenaient, l'enquête progressait assez logiquement malgré quelques sauts intuitifs, avec, en prime, quelques réflexions sur l'art, la politique ou l'existence, bien disciplinées, au sens où elles ne se substituaient pas au récit. Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, la toile de fond occupe maintenant le devant de la scène et obscurcit intrigue et enquête, noyées ainsi dans un fatras de réflexions quelconques.

Évidemment, comme il s'agit d'un roman bref ou d'une longue nouvelle, par rapport au vrai roman précédent, il fallait couper. On a coupé l'enquête, l'ambiance mystérieuse, les personnages qui mettaient du piquant dans l'histoire, malgré un passage à vide de Laetitia et une rencontre improbable avec une passante. Qu'est-ce qui reste? Il reste Sioui qui pense au lieu d'agir, qui rumine, qui criticaille, qui jouit de ses jeux de mots. Le non polically correct est devenu du critico-démagogico-délavé : Jean Drapeau, la guerre, les riches trop riches, les pauvres paresseux, les infirmes opportunistes, les immigrants profiteurs, les quêteux, les destructeurs de la vie, les foules qui changent d'idées comme de directions, les vieux trop vieux, les jeunes trop niaiseux... Laissé à lui-même, sans travail d'équipe et pratiquement sans enquête, Sioui reste un gars au caractère assez violent (en partie refoulé), peu original et à l'intelligence moyenne. Quand ses réflexions servaient à dévoiler un trait de caractère d'un personnage complexe, ça passait bien. Quand, au contraire, elles s'avèrent le prétexte d'une intrigue policière invraisemblable et mal ficelée qui sert de faire-valoir à un recueil d'introspections anodines et de réflexions banales, même enrobées dans un langage et un rythme qui arrivent encore à scintiller de temps en temps, le polar comme tel est alors raté.

Ma note: 3/5