Chrystine Brouillet

Sous surveillance
Double disparition

Sous surveillance

MD (août 2010)


En un coup d'oeil

  • Date de publication: 2010 (La courte échelle)
  • Genre(s): Thriller, procédure policière.
  • Mots-clés: Harcèlement, milieu universitaire, meurtres en série.
  • Personnage principal: Maud Graham, détective (police de Québec).
  • Résumé et clip: ici
  • Entrevue dans Le Soleil avec Didier Fessou: .

À mon avis

Il y a quelques années, j'avais parcouru quelques romans de Chrystine Brouillet que j'avais trouvés divertissants, sans plus; quelques commentateurs l'avaient comparé à Agatha Christie, ce qui, à moyen terme, ne lui a pas rendu service parce que ça engendrait une inévitable déception (si on tient à la comparer, pensons plutôt à MH Clark). Sous surveillance est le 11e roman qui met en scène la détective Maud Graham, Biscuit pour les intimes, et je me suis dit qu'il était temps de me remettre à niveau.

C'est heureux que Chrystine Brouillet ait conquis suffisamment de lecteurs pour vivre de sa plume. Même si sa détective Maud Graham est moins sympathique que l'auteure, c'est un plaisir de reconnaître les coins de la ville de Québec où Brouillet a vécu (elle vit maintenant à Montréal), ses restaurants préférés, les vins qu'elle a appris à connaître via une émission de télé qu'elle animait, les plats qu'elle affectionne. En ce sens, elle écrit vraiment des romans du terroir. Sous surveillance se passe, en plus, dans le milieu universitaire bien connu de l'Université Laval. Les relations entre professeurs/collègues et professeurs/étudiants sont pertinemment esquissés mais ne réclament pas une recherche aussi fouillée que pour son roman précédent sur les sectes. Les personnages féminins m'ont paru mieux développés que les personnages d'hommes : Anaïs, Gabrielle et Nicole, on y croit, tandis que Hubert, Alexandre et Rémi frisent la caricature par le caractère excessif de leurs obsessions. Brouillet a dû forcer la note pour stigmatiser sans la moindre ambiguïté ces obsessifs-possessifs.

Ceci dit, les personnages ne sont pas tellement développés pour eux-mêmes, mais il est vrai que plusieurs sont déjà connus des amateurs de Brouillet : ses amis Grégoire et Maxime, ses collègues de travail, son chum Alain qui a failli apparaître dans l'histoire mais qui a dû rester coincé sur la 20 par la tempête de neige. Pour les autres, on dirait que Brouillet préfère les esquisses à des descriptions plus élaborées, qui donneraient plus d'épaisseur aux personnages, pour ne pas ralentir l'action. En ce sens, comme dans les romans de Ludlum, les dialogues prennent beaucoup de place; mais le rythme n'est pas très dynamique pour autant, ralenti par l'allusion à un grand nombre de petites histoires qui n'ont pas tellement rapport, et par de nombreux personnages qui ne font que passer. Il ne s'agit pas vraiment de fausses pistes pour dérouter le lecteur qui est déjà au courant de l'essentiel. Plutôt, dirais-je, un choix conscient de l'auteure pour reproduire le divers éparpillé de la vie elle-même, avec ses chemins qui ne mènent nulle part et ces silhouettes éphémères.

Ce que j'ai beaucoup apprécié, c'est le recoupement et la quasi-fusion des trajectoires essentielles, éparpillées pendant la première partie du roman. Pas assez sobre ou rigoureux pour être comparé à Jo Nesbo qui s'en fait une spécialité. Mais assez pour témoigner du métier de l'auteure. Et, même si l'accent me semble plus mis sur la progression explicite de l'obsession d'Alexandre, dont la relation avec Gabrielle reprend celle qu'il a vécue avec Amélie et avec Karine, plutôt que sur les subtilités du travail policier comme tel ou les déductions brillantes de Maud, la trame est assez prenante pour qu'on ne lâche pas les 50 dernières pages, même si la conclusion est prévisible.

J'ai failli me contenter d'un 3.5 à cause d'un petit côté brouillon qui est, cependant, peut-être attribuable à l'éditeur : on a parfois l'impression que Brouillet pratique l'ellipse: par exemple, Tiffany propose à Gabrielle d'aller prendre un verre; Gabrielle décline l'invitation : elle doit rentrer chez elle parce qu'elle a découché, hier. Tiffany propose alors d'inviter Anaïs de se joindre à elles et d'aller souper chez Gabrielle et, plus tard, se dit contente d'avoir été invitée chez Gabrielle (p. 242-243). Ou encore : quand la police fonce vers le lac, l'auteure distingue deux moments différents en termes de distance : à l'approche du lac, moment où Joubert coupe la sirène (pour ne pas prévenir le suspect de leur arrivée, je suppose); et alors qu'ils gagnaient le lac, quelque temps après, moment où Graham scrute les lieux avec ses jumelles. Même au temps 2, ils sont donc encore assez loin de l'agresseur. Et pourtant, 4 pages plus loin (p. 330), on apprend que le bruit de la sirène avait enfin fait fuir son agresseur.

Bon! Mes scrupules me rendent peut-être plus catholique que Mgr Ouellet!

Ma note: 4/5



Sous surveillance
Double disparition

Double disparition

MD (août 2011)


En un coup d'oeil


À mon avis

Je me suis dit que, après l'univers invraisemblable de Patricia Cornwel, un petit voyage du côté de Chrystine Brouillet entre Montréal, Québec et Rimouski me soulagerait de mes frustrations et de l'agressivité qui s'ensuit. Pour un changement, ce fut réussi.

Les romans de Brouillet s'apparentent aux cozy mysteries (Grimes, Wentworth, Izner, Braun), sauf que l'enquête est effectuée par une professionnelle, la détective Maud Graham de la police de Québec et que les scènes brutales ne nous sont pas toujours épargnées. Mais les Québécois reconnaissent le paysage, retrouvent des coins de la ville familiers, particulièrement des restaurants, une façon de parler, bref un ensemble de points de repère qui est rassurant et qui nous donne parfois l'impression de lire les nouvelles quotidiennes (qui comprennent évidemment des crimes crapuleux et des meurtres affreux). De plus, une bonne partie du roman s'attarde sur la vie de famille de Graham, de ses protégés, y compris son chat Léo, et ses collègues de travail avec qui elle a développé des amitiés solides, ce qui est aussi typiquement québécois, par contraste avec une société française où la hiérarchie apparaît encore comme une valeur dominante et où la virilité des mâles se sent en péril quand une femme est au poste de commande. Ce sentiment de proximité produit parfois des effets négatifs : trop près de nous pour être un vrai polar! Mais ça peut aussi être fort plaisant et rendre les intrigues plus concrètes, comme on dit.

Le problème avec les romans de Brouillet n'est pas tout à fait là. Une fois mis à part l'aspect un peu rapide de l'écriture qui se traduit par des abus de pronoms personnels où le lecteur se perd parfois, ou des confusions de nom qui échappent à une relecture (Maxime au lieu de Michaël, à la p.236), on a l'impression que ce qui intéresse l'auteure c'est la vie et la personnalité de ses personnages récurrents plutôt que l'intrigue policière comme telle. Ce roman-ci est typique de ce que je veux dire. D'abord, le titre est un peu trompeur : il y a 15 ans, une mère a perdu son fils qu'elle croit mort, et le fils en question a été adopté, donc a perdu sa mère. A la rigueur, on peut parler de disparition, sauf qu'une fois que la mère adoptive meurt et que le fils part à la recherche de sa mère, il la retrouvera assez rapidement. Le suspense est ici plutôt : comment le fils doit-il aborder sa mère, qui le croit mort? D'autre part, la véritable disparition est celle de la petite Tamara enlevée par deux pédophiles. Après une brève recherche, les deux complices sont arrêtés et, peu de temps après, on découvre Tamara.

Comme il reste encore une centaine de pages, on s'attend à un rebondissement qui va nous renverser complètement. Et c'est alors que le lecteur perçoit son erreur. Cette histoire de la petite Tamara n'était qu'une sorte de prétexte pour nous permettre d'observer, par ricochet, les réactions des collègues de Graham, et surtout de l'entourage immédiat de Graham, notamment de son fils adoptif Maxime, de son ami Michaël et de leur nouvelle connaissance Trevor. On se demande comment se terminera la fugue de Trevor et Michaël à Montréal. Et la mère hystérique de Michaël, qui surprotège son fils, a presque l'air d'être justifiée quand Trevor perd en partie son équilibre psychique. Faut dire que ces étudiants de Cegep ont la maturité de très jeunes ados qui entrent au secondaire. Les anxiétés de Graham semblent donc aussi justifiées dans ce qui apparaît comme un vibrant plaidoyer en faveur des mères qui s'efforcent de se guérir de leurs angoisses en maintenant leurs enfants dans un univers puéril aseptisé, en les castrant psychologiquement : l'autonomie, la bière, le sexe, un joint : LE MAL! Bien des mères doivent se sentir rassurées.

On s'éloigne du polar, sans doute, mais pas du roman. Brouillet, elle le confiait dans une entrevue, aime trop ses personnages récurrents pour pouvoir se priver de continuer à écrire sa série des Maud Graham. Le lecteur baigne dans ce monde amical et solidaire; l'univers sordide des crimes apparaît comme le faire-valoir de ce monde chaleureux où il fait bon vivre. Et on comprend maintenant pourquoi l'intrigue comme telle n'intéresse pas tellement l'auteure. Ce qui l'intéresse ce sont les effets de l'enquête sur les relations personnelles entre les collègues, les amis, la famille. Family life!
Soyons donc prévenus : Double disparition n'est pas un polar, c'est un Brouillet.

Ma note: 3/5

Sous surveillance
Double disparition