Éric Debosscher

Une âme à double tranchant
1,414 et des poussières

Une âme à double tranchant

MD (octobre 2010)


En un coup d'oeil


À mon avis

C'est le premier roman d'Eric Debosscher; je l'ai lu lentement ne sachant vraiment pas à quoi m'attendre.

Au premier abord, c'est un peu comme si on vivait ce qui se passe à travers la tête et le corps du personnage principal, l'inspecteur de police Gregor Dzojsniewski (même son patron butte sur son nom!). Comme, en plus, Gregor travaille seul et qu'il ne nous ménage pas ses états d'âme, l'atmosphère qui se dégage est plutôt intimiste. C'est un genre d'anti-héros, souvent maladroit, négligent pour quelqu'un qui compterait sur les indices matériels (il n'a pas à cœur de récupérer le message reçu par Catherine) mais qui, justement, se fie surtout à son instinct, qui le sert pourtant moins bien que le hasard. Cet aspect de policier maladroit ne nous rappelle pas Columbo, qui ne l'est pas pour vrai, car Gregor est un naïf authentique, dépendant des jugements de son père et en quête d'une mère, je veux dire une femme dominante comme Catherine.

Le roman est court par rapport à la mode actuelle, et ça fait du bien une fois de temps en temps; par contre, l'auteur multiplie les phrases longues qui entortillent le lecteur, comme pour lui permettre d'épouser la méditation continue de Gregor, quitte à lui faire perdre le sens de la phrase et, parfois, de la progression de l'intrigue. D'autant plus que, comme Gregor le répète souvent, il a l'impression de tourner en rond et de revenir toujours au même point. Mais c'est peut-être parce qu'une enquête véritable tâtonne de cette façon et que la vie elle-même est assez confuse. D'ailleurs, l'arrivée de Damien dans l'histoire est problématique (p.122).On en vient à penser que l'angle d'écriture ressemble un peu à celui de Simenon : c'est la dimension psychologique qui intéresse l'auteur plus que l'apparent mystère et son astucieuse élucidation. Sauf que les fréquentations du policier se réduisent pratiquement à celles qu'il entretient avec Catherine, une des principales suspectes. Il s'embarque imprudemment dans une liaison avec elle (après tout, c'est son ex-mari qui a disparu depuis un mois et c'est sa belle-sœur qui est assassinée!), mais il en conclut qu'il n'est peut-être pas fait pour être un policier. Le lecteur se doute bien que Catherine le manipule et s'attend à un brutal coup de théâtre. Car, si leur liaison fonctionne et que Gregor démissionne de la police, nous n'aurons donc pas eu affaire à la première enquête substantielle d'un policier encore jeune qui, au gré du temps et des romans subséquents, deviendra un habile enquêteur. C'est surtout ici que se situe le suspense. Car, autrement, il s'agirait plutôt d'un roman sentimental déguisé en roman policier.

Bien écrit, agrémenté d'un humour facile qui convient à la personnalité de Gregor, le roman se termine par deux scènes qui montrent que Gregor a pris du poil de la bête. Mais seul l'avenir pourra nous dire si l'essentiel, pour Gregor mais aussi pour l'auteur, était la solution du problème policier ou le dénouement de son problème personnel.

Ma note: 3,5 / 5


Titre1
Titre2

1,414 et des poussières

MD (mars 2011)


En un coup d'oeil


À mon avis

Ce deuxième roman d'Eric Debosscher est publié deux ans après Une âme à double tranchant, dont j'avais rendu compte en octobre 2010. On retrouve le même personnage principal, l'inspecteur de police de la ville belge de Mons, Gregor Dzojsniewski, certains de ses collègues, et son entourage personnel immédiat, son père, qui vient d'être victime d'un infarctus, et son amie Catherine, qui vient d'être abattue par un tireur inconnu; peut-être d'ailleurs voulait-on tirer plutôt sur Gregor; puis, son ami d'enfance musulman, Youssef Jahmalja, victime d'une pendaison : suicide ou crime raciste? Passant son temps entre la morgue et l'hôpital, Gregor essaie de trouver le lien entre le meurtre et l'attentat, harcelant le médecin légiste Max Ottlakav, et veillant sur son père et sur Catherine. Guidé par le commissaire Deltort qui ne sait plus s'il doit le pousser ou le ralentir, Gregor se retrouve au milieu d'une machination complexe où sa vie est menacée à chaque pas.

Maintenant qu'on a affaire à un deuxième roman, il est plus facile de circonscrire le genre de polars auquel nous convie Debosscher. Je me demandais, à l'époque, si le jeune Gregor deviendrait un habile enquêteur ou si l'auteur verserait dans le roman sentimental. Ni l'un ni l'autre, finalement. C'est certain qu'on ne nous épargne pas les sentiments de l'inspecteur, qui les exprime à la slave (du moins conformément à la représentation folklorique qu'on s'en fait : intensément et ostensiblement). C'est certain aussi que l'aspect relatif à l'intrigue est plus important que dans le premier roman. Mais l'essentiel est ailleurs : il s'agit d'un polar léger qu'il faut lire avec un grain de sel. L'auteur n'est plus seulement derrière l'épaule de Gregor; il s'adresse directement à nous, multiplie les contrepèteries, se complaît dans les situations excessives. Moins verbalement festifs que chez San Antonio, moins serrés qu'un Exbrayat, les polars de Debosscher se moquent des polars sérieusement tragiques comme Offenbach se moquait des opera seria. Ce qui ne l'empêchait pas de connaître la musique.

Que le lecteur soit donc prévenu : s'il ressent le besoin de se faire brasser l'adrénaline par un Connelly ou d'admirer les cogitations rigoureuses d'un Poirot, qu'il s'adresse ailleurs. Mais s'il veut se reposer des polars à la mode, américains ou suédois, sans vouloir pour autant renoncer au jeu des gendarmes et voleurs, un roman comme celui-ci lui donnera satisfaction.

Ma note: 3,5 / 5