Jean-François Parot

Le noyé du Grand canal
L'énigme des Blancs-Manteaux

Le noyé du Grand canal

MD (octobre 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 2009 (JCLattès)
  • Genre: polar historique et roman d'aventures.
  • Mots-clés: vol, chantage, meurtres et guerre franco-anglaise de 1778.
  • Personnage principal: Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet.
  • Très beau site de la série des enquêtes de Nicolas Le Floch: ici.
  • Résumé du roman : .

À mon avis

Jean-François Parot est né à Paris en 1946. Son enfance l'a spontanément familiarisé avec le milieu cinématographique : il prenait des marches avec Gabin; sa mère travaillait pour Carné; son grand-père avait été monteur pour le Napoléon d'Abel Gance. Ce qui dut lui donner le respect de la chose artistique et l'attrait pour les mondes imaginaires. Plus tard, diplômé en histoire et en ethnologie, il travaille comme diplomate, conseiller politique, ambassadeur, ce qui lui fournit l'occasion de parcourir le monde et de prendre conscience que, autour d'une bonne table, bien des problèmes peuvent être élégamment résolus. Il s'en souviendra quand il décrira de façon détaillée la façon dont le commissaire Le Floch et ses amis célèbrent une victoire ou, en cas de coups durs, se remontent le moral. On le constate quand il prend sa retraite en 2000 et que sa carrière d'écrivain ès-polars historiques démarre.

Le Noyé du Grand Canal est le huitième roman de Parot (2009). De L'Énigme des Blancs-Manteaux (2000) à L'Homme de Sartine (2010), il en publie neuf. Je recommande d'essayer de les lire dans l'ordre : les principaux personnages restent les mêmes, mais Le Floch prend de l'âge et sa personnalité s'affermit, Paris se transforme, certains amis se renouvellent, les ennemis augmentent. La consultation du site indiqué plus haut situe les emplacements principaux de chaque aventure et indique la route de Versailles à Paris, c'est-à-dire de la Cour aux fonctionnaires de la ville, va-et-vient continuel que s'impose le commissaire Le Floch. Les amateurs de gastronomie trouveront regroupées sur ce même site, les recettes détaillées dont profitent nos héros; il ne s'agit pas là d'une coquetterie ou d'une perversion particulière de l'auteur. Un des lieux plaisants où l'aristocratie descendante et la bourgeoisie montante se rencontrent, c'est justement celui des plaisirs de la table. Les aventures de Le Floch se situent dans la deuxième partie du XVIIIe siècle; or, Grimod de la Reynière, à la fin du siècle, élève la gastronomie au rang des Beaux-Arts, alors que Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût de 1825, en fait presque un devoir moral. A cette époque, les plaisirs de la table se substituaient, chez les encyclopédistes vieillissants, aux plaisirs du lit car, comme l'observait finement Brillat-Savarin, les plaisirs de la table sont les seuls qui, en nous épuisant, nous restaurent en même temps.

On retrouve ce plaisir de l'écriture des grands écrivains du XVIIIe siècle car c'est dans ce langage que les romans de Parot sont écrits. On aura compris que le souci de la précision historique, des événements marquants et des personnages captivants (au moment où cette nouvelle aventure commence, Voltaire est sur le point de s'éteindre) caractérisent, avec un talent inégalé et une compétence rare cette série de romans. Si Voltaire, Rousseau ou Diderot avait écrit des romans policiers ou d'aventures, ça ressemblerait à ça. Il y avait un peu de cela dans les Ellis Peter et son frère Cadfael. Mais les romans de Parot constituent le paradigme du véritable polar historique. L'historique ne figure pas seulement comme toile de fond, c'est la texture même du récit.

D'où les effets opposés susceptibles d'être produits. Les uns, les amateurs de thriller qui jouissent de tourner les pages et traversent un livre de 400 pages en une nuit d'insomnie, vont abandonner rapidement et refuseront de se taper un cours de période française pré-révolutionnaire pour les nuls. Les autres auront du plaisir à retarder leur lecture pour demeurer immergés plus longtemps dans cette atmosphère dépaysante et fascinante qui nous frappe d'accès de nostalgie liés à nos études classiques, donc à nos 20 ans. En suivant Le Floch, on se heurte soudain à Restif de la Bretonne, on participe à la dispute entre gluckistes et piccinistes alimentée par le musicien et musicologue Jean-Benjamin de la Borde, et on est assez fasciné par Mesmer venu s'établir à Paris après avoir été chassé de Vienne. On entre même dans l'intimité du roi et de Marie-Antoinette.

Malgré tout, et dans notre contexte c'est toujours la question principale, on ne peut pas dire que l'intrigue policière est noyée dans le Grand Canal elle aussi. L'enquête est plus longue que dans un Poirot, les détours plus complaisants que chez un Nesbo par exemple, certains personnages développés avec soin, même s'ils sont liés davantage à Nicolas qu'à l'intrigue elle-même, et certains beaux hasards fort bienvenus, mais les filatures portent fruit, les indices s'accumulent et, au cours de plusieurs moments récapitulatifs (pédagogiquement utiles), nos limiers s'efforcent de les interpréter et d'élaborer des hypothèses qui seront ensuite testées; enfin, le dénouement classique, qui n'exclut d'ailleurs pas quelques rebondissements inattendus, satisfait notre besoin d'élucider le fin fond des mystères.

Donc, à ne pas mettre entre toutes les mains! Mais, pour ma part, c'est un chef-d'œuvre remarquable.

Ma note: 5/5 et Coup de coeur.



Le noyé du Grand canal
L'énigme des Blancs-Manteaux

L'énigme des Blancs-Manteaux

MD (décembre 2011)

En un coup d'oeil

  • Date de publication: 2000 (Ed. JC Lattès).
  • Genre(s): polar historique et roman d'aventures.
  • Mots-clés: disparitions, mutilation, les mystères de Paris fin XVIIIe.
  • Personnage principal: Nicolas Le Floch, enquêteur du lieutenant général de police.
  • Très beau site de la série des enquêtes de Nicolas Le Floch: ici.
  • Résumé du roman : .

À mon avis

Quand j'ai fait, le mois dernier, le compte rendu du roman de Parot Le Noyé du Grand Canal, je suggérais fortement de lire cette série du Commissaire Le Floch dans l'ordre chronologique. J'ai suivi mon conseil : L'Énigme des Blancs-Manteaux est le premier de la série. Comme la série s'étend sur plusieurs années, des personnages disparaissent et de nouveaux-venus se manifestent; néanmoins, je persiste : essayez de les lire dans l'ordre chronologique.

Aujourd'hui, pour moi comme pour ceux qui ont commencé par un autre roman, cet univers n'est plus une surprise, même si Nicolas est dans la jeune vingtaine et n'a pas encore de fils, que le roi est Louis XV, et que nous sommes en 1761 plutôt qu'en 1778. Mais les principaux personnages y sont déjà : Sartine évidemment lieutenant général de police (le roi souligne déjà son importance : Alors, Monsieur Sartine. Comment va votre ville? ), l'inspecteur Bourdeau, fidèle adjoint de Nicolas, Noblecourt et son entourage, les alliés comme le bourreau Sanson, bon interprète de cadavres, le chirurgien Semacgus, La Borde, alors premier valet du roi qui deviendra fermier général et musicologue…

J'ai donc pu échapper aux charmes des premières amours et analyser l'œuvre avec un peu plus de recul. J'en reste ébahi. D'abord, malgré l'érudition toujours utilisée à bon escient, l'aisance de l'écriture, la fine psychologie des personnages, leur mode de vie (leurs amours, leur festin, leur plaisir de la parole, leur galanterie et leur délicatesse), on ne quitte jamais l'intrigue : tout tourne continuellement autour d'une disparition à élucider, d'un meurtre à éclaircir, d'un suspect qu'on cerne mais qui se fait tuer lui aussi, d'un déguisement à percer à jour, et toujours ce Sartine à satisfaire! Donc : 100% historique et 100% polar dans le style élégant des grandes aventures du XVIIIe siècle. Sans négliger les clins d'œil aux réalités d'aujourd'hui, comme ces escarmouches entre la cuisine traditionnelle et la nouvelle cuisine où il s'agit de faire en sorte que le poisson goûte la viande, et la viande le poisson.

L'intérêt particulier de ce premier roman, c'est de voir Nicolas quitter sa Bretagne natale et tenter de s'adapter à la vie déjà trépidante de Paris : lesquels de ses premiers contacts deviendront ses amis, lesquels disparaîtront, lesquels le trahiront? Comment ce jeune homme habitué aux grands espaces se débrouillera-t-il dans ce Paris labyrinthique où le traquenard nous guette à chaque coin de rue? Et les motifs de ceux qui s'égorgent en ville ne diffèrent-ils pas considérablement de ceux qui animent des propriétaires terriens?

Les lecteurs qui seront moins sensibles à l'enrichissement culturel ne manqueront pas d'être séduits par l'intelligence organisatrice de l'auteur ou par son attachante sensibilité qui nous présente un monde où, à côté des horreurs quotidiennes, se nouent des amitiés durables. Et, comme vaincre entièrement les premières échappent à notre pouvoir, aussi bien s'efforcer de consolider les secondes.

France 2 a diffusé plusieurs aventures du Commissaire Le Floch inspirées des romans de Parot. J'en ai vu un seul avec un certain plaisir. Les images et les reconstitutions historiques sont réussies, mais les personnages manquent d'étoffe et les raccourcis dramatiques ne sont pas très heureux. Les romans sont nettement supérieurs. La télé vise un bon divertissement pour grand public. Les romans font la joie des gourmets.

Ma note: 5/5 et Coup de coeur.

Le noyé du Grand canal
L'énigme des Blancs-Manteaux