Patrick Senécal

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Les sept jours du talion
Sur le seuil

Le vide

JH (décembre 2008)


En un coup d'oeil


À mon avis

Je devrais peut-être en avoir honte, mais c'est ma première incursion dans le polar québécois (à part, il y a de nombreuses années, un Pelletier qui ne me laisse qu'un vague souvenir - mes excuses, Michel!). Tant qu'à faire, aussi bien m'attaquer au roman qui a connu le plus grand succès auprès du grand public.

Devant le concert d'éloges qu'a recueillis ce roman, je me sens un peu marginal de venir y mettre des bémols. Il me faut d'abord répondre pour moi-même à une question politique fondamentale: ce roman est-il un bon polar? ou est-ce un bon polar pour un polar québécois? Et pour moi, la réponse est claire, au moins sur le critère: ce serait faire insulte aux romanciers québécois que de leur faire un traitement de faveur. Un Senécal doit s'évaluer à la même aune qu'un Connelly ou qu'un Mankell. Point à la ligne.

Ma réponse est donc mitigée: pour moi, Le vide est un polar original, ambitieux et intéressant, écrit par un auteur talentueux, mais pas encore en véritable maîtrise de son art. Ce gros pavé (660 pages, dont une bonne centaine de trop) se lit sans ennui et suscite des réflexions sociales et morales intéressantes; mais les irritants sont nombreux.

Vous avez un bon résumé critique ICI.

Comme l'annonce bien le titre, la thématique du roman, c'est le vide existentiel et les extrêmes auxquels il peut conduire dans une société abrutie par la télé et la consommation. Jusqu'où peut-on aller pour briser la solitude, l'ennui et l'insensibilité, pour se donner l'impression, ne serait-ce qu'un instant, d'être vivant? Pour donner un peu de sens à une vie qui n'en a pas ou pour trouver son petit quart d'heure de gloire? Et Senécal, même s'il tartine souvent, réussit parfaitement à illustrer son propos. Le regard social est noir, cynique, désabusé; et la critique de l'abêtissement social est féroce. Ne lisez pas ce livre si vous avez la moindre tendance dépressive: c'est tout le contraire d'un Prozac!

L'intrigue est dense et complexe. L'enquête policière n'en est qu'un des trois axes principaux, eux-mêmes entrecroisés et parsemés de flashbacks. Mais c'est fort bien ficelé et ça se suit sans difficulté. L'intérêt ne se dément pas, même si on tombe souvent dans l'invraisemblable ou l'excessif et même si c'est parfois racoleur (l'auteur a visiblement ratissé l'actualité, un peu comme dans Virginie, pour pimenter son histoire ou faire des clins d'oeil).

Le vide a de la substance et ne laisse pas indifférent. Le propos est articulé et les personnages ne manquent pas de densité et de profondeur. Aucun n'est sympathique (à part Chloé, la jeune policière pas encore blasée), mais leur psychologie est fouillée et, malgré qu'ils soient fortement typés, on évite la caricature.

Là où ça cloche, c'est du côté de l'écriture. Dans les dialogues, le niveau de langue oscille, pour le même personnage et dans des contextes similaires, entre le français neutre, quasi international, et le québécois populaire assaisonné de ben, de pis et de pas pantoute. Ce flottement langagier, ce manque de cohérence stylistique devient souvent agaçant. Même chose pour la narration au présent, une mode que je trouve particulièrement agaçante, surtout quand elle est faite à la troisième personne.

Mais surtout, Senécal en met trop. Les deux moments-clés du roman (le voyage en Gaspésie et la grande finale en studio) sont, selon le cas, une telle orgie de sang, de sperme et de merde qu'on décroche. Et une fois qu'apparaissent, vers le milieu du roman, les véritables motivations de Lavoie, on a compris; pas besoin de rajouter lourdement une couche, puis une autre, au discours philosophique. Le roman aurait été beaucoup plus convaincant si l'auteur, après avoir fait son trip d'écriture, avait ensuite su manier le sécateur.

Alors, la note à donner m'embête. J'aimerais bien y aller d'un 4, pour la rigueur de l'intrigue, l'audace du propos, la consistance des personnages et l'intérêt général de l'histoire. Mais certaines invraisemblances, des faiblesses stylistiques, plusieurs longueurs et surtout une fâcheuse tendance à saturer le propos (faire de l'overkill) me forcent à mettre de gros bémols.

Ma note: 3,5 / 5


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JH (décembre 2009)


En un coup d'oeil


À mon avis

C'était mon troisième Senécal ... et ce sera mon dernier. Chronologiquement, il survient après Le vide (voir ci-dessus). Compte tenu des aspects intéressants du Vide, on pouvait espérer qu'avec un peu plus d'expérience et un travail d'édition un peu plus rigoureux, le romancier allait parvenir à maturité et, dans la niche qu'il a choisie, parvenir à livrer un roman exempt des maladresses et des failles adolescentes qui hypothéquaient ses précédents. Mais non, cela semble sans espoir: c'est une régression qui, par comparaison, fait paraître Le vide comme excellent.

Comme l'indique bien le titre, c'est l'histoire d'une descente aux enfers. Daniel Saul (PDG milliardaire parfaitement convenu, voire caricatural) passe d'une vie normale (on boit, on partouze, on sniffe et on flambe le cash) à une vie de perversité (on tapoche, on torture, on viole et on massacre). Avec une petite esquisse de rédemption, tartinée en vitesse dans la dernière partie, histoire (comme le faisaient les auteurs à l'index dans le temps pour tenter d'éviter la prison) d'édifier le lecteur. Bref, Senécal se pose clairement comme le marquis de Sade québécois des temps modernes - moins le talent et plus Internet!

Il faut lui concéder le talent d'avoir imaginé une histoire intéressante au niveau d'un synopsis. Son enfer sadomaso réservé à l'élite financière et géré par Internet est assez bien structuré et le roman, malgré tous ses gros défauts, se laisse quand même lire jusqu'à la fin (mon critère pour atteindre au moins une note de 3). Mais si le synopsis se défend bien, la livraison, quant à elle, la mise en roman, déçoit terriblement. À mon avis, Senécal est un assez bon conteur, mais un piètre écrivain.

Passons par dessus les fautes de grammaire occasionnelles (Ce sont quelques chiffres dont j'aimerais que tu consultes, p.308) et les tics d'écriture (par exemple cette manie de se référer à Daniel par le PDG, l'homme d'affaires, le milliardaire). Les personnages sont à peine esquissés, ce qui explique qu'on ne les désigne la plupart du temps, après leur avoir collé un prénom, que par leur rôle dans l'histoire: l'investisseur, l'avocate, le consultant, le policier, etc. Le contexte d'entreprise est sommaire et convenu: on discute de projets, de présentations, de contrats, de dossiers en termes tout aussi génériques. Et les lieux sont tout aussi stéréotypés: la grosse cabane, le loft minable, l'avion privé, etc. Bref, l'essentiel, ce sont les fantasmes et, ma foi, on en revient toujours au même: on a transposé dans un contexte technologique les combats de gladiateurs antiques, les exécutions et tortures médiévales et les orgies SM du Divin Marquis. Comme pour la pornographie, où, finalement ne changent que les protagonistes et les positions, le monde imaginé par Senécal ne fait varier que les instruments utilisés et la nature des sévices. Il y a bien le conflit intérieur de Daniel entre ses fantasmes de pouvoir et de violence extrêmes et l'étincelle d'humanité qu'il lui reste, mais l'écriture médiocre empêche ce moteur romanesque de devenir convaincant.

La popularité indéniable de Senécal s'explique peut-être par un talent de marketing ou par un agent doué. Mais cela n'en fait pas un grand écrivain. Même pas un bon.

Ma note: 3/5


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Sur le seuil

MD (février 2009)

En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 1998 (éditions Alire, 429p)
  • Genre(s): thriller fantastique.
  • Mots-clés: crimes horribles, hôpital psychiatrique.
  • Personnage principal: Paul Lacasse, psychiatre.
  • Adaptation au cinéma: Sur le seuil, film d'Éric Tessier, 2003.

À mon avis

J'ai un bizarre de rapport avec Patrick Senécal : d'abord, j'estime que lui et Jean-Jacques Pelletier sont nos plus grands écrivains québécois des quinze dernières années, dans le domaine qui nous intéresse ici, ce qui n'est pas un jugement très original. Dans les deux cas, quand je commence un roman, je cesse d'être disponible pour quoi que ce soit. Même quand je boude un de ces romans comme 5150, rue des Ormes, ça ne reste pas moins vrai que j'en suis absolument captif le temps de la lecture. J'ai trouvé très politically incorrect, donc plutôt jouissif, Les Sept Jours du talion car, même si Senécal fustige aussi les partisans du père de la victime, ça faisait du bien de voir souffrir un méchant sadique, au lieu qu'il soit abattu ou capturé dans les trois dernières pages, et c'est fini. Le Vide m'a également conquis presque sans réserve, en tout cas moins que Jacques (voir ci-dessus).

Mon rapport reste ambigu parce que, en tant que polarophile, j'ai la nostalgie des solutions rationnelles et, avec Senécal, on ne sait jamais. Ceci dit, une fois de temps en temps prendre un bain d'irrationnel est tolérable. Mais pas quand on s'efforce avec confiance, pendant quelques heures, de dénicher les racines compréhensibles de l'apparemment mystérieux pour finir par foncer dans un mur. C'est comme aller entendre Hermione de Rossini en s'imaginant que c'est une comédie!

Or, Sur le seuil commence et continue comme un vrai polar d'enquête. Une tuerie incompréhensible et un événement très troublant. Très bon point de départ. Puis, pour comprendre son patient, l'écrivain à succès Thomas Roy, le docteur Lacasse, avec l'aide de sa jeune collègue et amie Jeanne Marcoux, entreprend une enquête minutieuse : indices, interrogatoires, hypothèses. Véritable procédure policière. Les personnages sont crédibles, y compris le prétentieux journaliste Monette, qui leur donne un coup de main. Alors que le mystère semble se clarifier, l'agent littéraire de Roy, Patrick Michaud, relance l'affaire. Ce n'est pas le dernier rebondissement. A partir de là, on comprend que le véritable adversaire de Lacasse est l'irrationnel et il n'est plus possible de lâcher le roman.

Le rythme est bon, ça se lit facilement, l'ambiance est de plus en plus pesante, et on sent bien que quelque chose de terrible va se produire. Senécal a le don de distiller l'horreur goutte à goutte jusqu'à ras bord. Le lecteur est envoûté. Le climax est spectaculaire, et pourtant tout ne fait que recommencer.

J'ai dit qu'il s'agissait d'un thriller fantastique. Le lecteur doit, impérativement, se contenter de l'aperçu inscrit sur la quatrième de couverture. J'ai parcouru plusieurs tentatives de résumé sur le net, qui en disaient trop. Je me contente de la recommandation suivante : si vous êtes un amateur de polars et que vous pensez qu'un polar doit se terminer par une élucidation rationnelle des problèmes accompagnée d'une résolution des tensions, Sur le seuil n'est pas pour vous. Louez plutôt le film un vendredi soir et, avec un porto bien corsé, regardez-le comme quand on joue à avoir peur avec un bon Dracula. Si, au contraire, vous trouvez que les solutions rationnelles des romans à énigmes rompent le charme et que vous rêvez d'être ensorcelés à jamais, alors lancez-vous, car c'est un vrai sorcier ce Senécal.

Ma note: 4/5


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JH (juin 2009)

En un coup d'oeil


À mon avis

Comme l'adaptation cinématographique de ce roman est sur le point de sortir, j'ai enfin lu ce roman de celui que l'on surnomme le Stephen King québécois. Grosse déception.

L'argument est pourtant explosif: ce roman est l'histoire d'une vengeance. Un père, dont la petite fille a été tuée par un psychopathe, décide de se faire justice lui-même en enlevant le criminel et en le torturant pendant sept jours.

L'ennui, c'est que tout le roman tient dans ce résumé. Le roman démarre bien: la mise en place du plan de Bruno Hamel est intéressante et même habile; mais une fois que la situation initiale est établie (Hamel enfermé dans un chalet avec sa victime et son message communiqué à la police), le roman ne progresse plus. Les scènes de torture s'accumulent (et comptez sur Senécal pour que merde et sang soient au rendez-vous!), mais leur répétition devient lassante.

Le défi de l'auteur est d'étoffer une situation intensément campée dès le début et, malheureusement, il n'y parvient pas vraiment. Il y a bien une enquête policière que mène en parallèle le détective Mercure et son équipe pour tenter de trouver Hamel avant qu'il ne tue sa victime au bout des sept jours annoncés; mais cette enquête n'a aucune influence sur l'intrigue, aboutissant trop tard, alors que Hamel a lui-même tiré la conclusion de son plan diabolique.

Une autre piste suivie par Senécal pour étoffer son intrigue consiste à jouer sur l'alcoolisme et la folie de Hamel, enragé de constater que sa vengeance ne parvient pas à calmer sa douleur profonde. Mais ses hallucinations et ses crises de colère ne convainquent pas: elles sont décrites de façon convenue, sans que l'on réussisse à s'intéresser vraiment à ces personnages caricaturaux. Si Senécal a un réel talent pour imaginer des histoires, son écriture n'est pas celle d'un grand écrivain. Il y a bien les germes d'une réflexion philosophique sur la vengeance et le pardon, sur la façon de gérer la haine en la transcendant ou en s'y abandonnant. Mais la tendance à l'outrance et la lourde tartinade de violence et de folie ne parviennent pas à masquer la minceur d'une intrigue qui, une fois campée, ne progresse plus. Et donc, malgré la grosse réputation de Senécal dans le milieu et ses nombreux inconditionnels, je ne réussis pas à cliquer.

Pour ceux que cela intéresse, il y a ici une critique plus favorable que la mienne. Et , une qui va dans le même sens que moi.

Ma note: 3/5

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