Thomas H. Cook

Les feuilles mortes
Les leçons du mal

Les feuilles mortes (de Thomas H. Cook)

RP (Janvier 2011)


En un coup d'oeil

feuillesmortes
  • Date de publication : 2005 (Red Leaves)
  • Date de l'édition française : 2008 (Gallimard) et 2010 (Folio)
  • Genre : Suspense psychologique
  • Mots-clés : apparence, confiance, suspicion
  • Personnage principal : Eric Moore, père d'une famille précédemment heureuse
  • Résumé : sur Télérama

À mon avis

Eric Moore et sa famille ont tout pour être heureux. Lui possède une boutique de photos, sa femme Meredith, professeur d’anglais, s’épanouit à son travail et son fils Keith semble trouver son bonheur dans sa chambre avec son ordinateur. Sérénité et équilibre de la famille, jusqu’au jour où la petite fille de leurs voisins disparaît. Le problème est que c’est Keith, le fils de la famille, qui a joué le rôle de baby-sitter la veille au soir et au petit matin on n’a pas retrouvé la petite dans sa chambre. Cet évènement va complètement changer l’ambiance familiale. La femme va laisser apparaître une frustration insoupçonnée, le fils a une attitude équivoque et le mari constate qu’il ne connaît pas vraiment les personnes avec qui il vit.

A partir de là, Eric va analyser tous les évènements d'un œil nouveau, le doute va s'insinuer dans son esprit et le doute est un poison qui corrompt tout. Il va reconsidérer des faits marquants de son histoire familiale actuelle avec son épouse et son fils mais aussi passée, avec son père, sa mère, son frère. Beaucoup de choses vont désormais lui paraître pas claires : son père a-t-il assassiné sa mère ? Sa mère avait-elle un amant ? Son frère est-il pédophile ? Sa femme a-t-elle une aventure avec un psychiatre ? Son fils a-t’il enlevé la petite voisine ?

La grande habileté de T. H. Cook est de présenter tous les évènements de façon à ce que les interrogations d'Eric paraissent normales et légitimes. Comme s'il avait fait preuve d'aveuglement précédemment et que maintenant tout s'éclaire. Les choses sont présentées d'une certaine façon puis d'une façon alternative sans que l'on puisse déterminer quelle est la bonne.

Les photos de famille mentent dit le héros de l'histoire. C'est bien le sujet de ce livre : derrière les sourires et les poses factices, se cache une autre vérité beaucoup moins radieuse. T.H. Cook décrit parfaitement les blessures et les non-dits familiaux. Il aborde également les méfaits des accusations et jugements sommaires et les dégâts provoqués par les apparences trompeuses. Ce livre est court et se lit d'autant plus facilement qu'il est intéressant jusqu'au bout.

Et toujours cette manie agaçante des éditions françaises de traduire les titres de façon fantaisiste : ainsi Red Leaves devient Les feuilles mortes. On réussit ainsi à ôter toute force évocatrice : les feuilles qui ont la couleur du sang du crime deviennent bêtement des feuilles mortes d’automne …emportées par le vent d'un marketing foireux ! L'auteur n'y est pour rien, son livre est bon.

Ma note : 4 / 5


Les feuilles mortes
Les leçons du mal

Les leçons du mal (de Thomas H. Cook)

JH (mars 2012)

En un coup d'oeil

  • Date de publication : 2008 (Master of the Delta).
  • Date de l'édition française: 2011 (Seuil, 357p)
  • Genre: polaroïde sociologique; roman noir.
  • Mots-clés: milieu sudiste des États-Unis, relation maître-élève, mémoire.
  • Personnages principaux: Jack Branch, professeur de lycée; Eddie Miller, l'un de ses élèves.
  • Résumé et commentaire: sur Evene..

À mon avis

Thomas H. Cook est un vieux routier de la Série noire et du roman noir tout court (15 romans traduits en français), mais je ne le connaissais pas. Et le premier contact fait très bonne impression. Voir d'ailleurs, ci-dessus, le topo de mon collègue Raymond sur Les feuilles mortes, du même auteur.

Jack, prof de lycée dans un petit patelin du Missisipi profond, donne un cours sur les différentes incarnations du mal à travers l'histoire. Comme travail de fin de d'année, chaque élève doit choisir un personnage maléfique (Hitler, Staline, tueur en série ou autre) et en faire le portrait. Eddie Miller choisit de faire celui de son propre père, condamné pour le meurtre barbare d'une jeune étudiante et tué en prison par un codétenu alors qu'Eddie avait 5 ans. Jack, conscient du lourd héritage que porte Eddie, décide de l'aider et de le prendre sous son aile, convaincu que ce travail de démystification de son père sera thérapeutique pour le jeune Eddie. Mais les choses ne tourneront évidemment pas comme Jack l'anticipait.

La technique de narration est originale. Jack narre ce roman lorsqu'il est vieux, vers la fin de sa vie, alors que l'action se passe au début de sa carrière de prof. Il est un peu déstabilisant de voir Jack nous parler de tel élève adolescent pour nous dire dans le paragraphe suivant que cet élève est mort à cinquante ans dans telle et telle circonstance. Il ne s'agit pas de flashbacks classiques, mais d'un aller-retour incessant dans sa mémoire. Il nous racontera avec émotion comment il tombe amoureux de Nora, mais on sait déjà qu'elle est morte au moment où il nous raconte l'histoire. Et ce rappel des événements passés, qui constitue l'essentiel de la narration, est pimenté d'articles de journaux de l'époque, d'extraits d'interrogatoires de témoins lors du procès, de pages de journaux intimes de son père ou d'Eddie. Il faut deux ou trois chapitres pour s'habituer mais, étonnamment, on ne perd pas le fil et l'histoire progresse clairement à travers ce vernis de digressions et de retours en arrière. La technique romanesque, audacieuse, est parfaitement maîtrisée et, en plus du style brillant et évocateur, nous donne la mesure du talent d'écrivain de Cook.

Dans ce voyage au bout de la mémoire, tout gravite autour d'un point central auquel Jack fait allusion tout au long du livre en se référant aux événements ou au procès, sans que l'on sache précisément de quoi il s'agit avant les derniers chapitres. Le but du roman, c'est de nous montrer, à petites touches, comment on a fini par en arriver , sans que l'on sache ce qu'il y a , même si on devine bien qu'il s'agit d'une tragédie dont on ne connaîtra la nature qu'à la toute fin.

Les personnages sont fouillés, étudiés de l'intérieur et bien campés. Ils sont surtout bien enracinés dans l'atmosphère sudiste du Mississipi de l'époque (on se croirait parfois dans Tennessee Williams ou dans Autant en emporte le vent), avec la politesse un peu empesée du Old South, les citronnades et le thé glacé, les plantations et les maisons de maître sur lesquelles on sent planer l'ombre de Lee, de Davis et des Confédérés.

Même si ce roman est publié dans une collection policière, il est abusif de parler d'un polar. Bon, il y a bien un meurtre et un vague shérif qui enquête, mais c'est un prétexte bien mince (comme dans Seul le silence, d'Ellory). Si vous vous attendez à une intrigue à multiples rebondissements, à des révélations spectaculaires ou à une enquête patiente et minutieuse, passez votre chemin, vous serez déçus. Mais si vous vous laissez séduire, comme moi, par le talent d'un grand écrivain abordant des thèmes universels brillamment contextualisés, alors, ce roman est pour vous.

Ma note: 4,5 / 5

Les feuilles mortes
Les leçons du mal