Nos 5 étoiles

Ellis Peter

MD (nov 08)

Note: Ellis Peter ou Ellis Peters ? On trouve les deux orthographes, aussi bien sur le Web que dans Wikipédia et même chez les éditeurs. Si vous faites une recherche sur elle, prière d'en tenir compte.

Voir aussi mon compte rendu de la série télévisée Cadfael, inspirée de son oeuvre.


En un coup d'oeil

  • Naissance et mort: 1913-1995
  • Nationalité: anglaise
  • Autre(s) métier(s): traductrice (du tchèque à l'anglais)
  • Premier roman publié: hors série, sous le nom de J Carr : Murder in the dispensary (non traduit), 1938
    • Série de l'Inspecteur Felse : Une mort joyeuse, 1959
    • Série du frère Cadfaël : Trafic de reliques, 1977 .C'est cette série qui nous intéresse ici.
  • Personnage vedette: Frère Cadfaël
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: Abbaye de Saint Pierre et de Saint Paul, Shrewsbury, Angleterre
  • Genre(s) de prédilection: procédure d'enquête classique malgré le décor particulier

Liens externes


À mon avis

Avant la deuxième Guerre Mondiale, de 1938 à 1940, sous les noms de Jolyon Carr et de John Redfern, Edith Pargeter publie cinq romans policiers qui ne feront pas beaucoup de bruit. Après avoir travaillé pendant la guerre aux communications dans le Women's Royal Navy Service, elle produit trois romans historiques qui se passent au temps des bâtisseurs de cathédrale, La Pierre de vie, Le Rameau vert et La Graine écarlate, qui lui valent une certaine réputation. Puis, sous le nom d'Ellis Peter, elle gagne le Prix Edgar Poe, en 1959, avec le premier d'une série de 12 romans policiers, dont l'action se situe dans l'Angleterre contemporaine : Une mort joyeuse. Je n'ai lu qu'un livre de cette série, m'attendant à un Cadfaël que j'avais commencé à apprécier, et j'ai été plutôt déçu; c'est peut-être là l'effet de ma distraction plutôt que de la valeur du roman comme tel. Plus tard, j'en ai essayé un deuxième, mais sans le terminer…

Le grand succès d'Ellis Peter, celui qui en a fait une auteure célèbre, c'est l'ensemble des aventures du frère Cadfaël, 21 romans publiés entre 1977 et 1994. C'est ici que sa passion pour l'histoire rejoint son goût de l'intrigue, plus exactement du mystère à élucider. Même si les références historiques, autant les événements politiques que les objets et attitudes de la vie quotidienne, sont exactes et précises, ces éléments constituent une toile de fond et introduisent une continuité d'un livre à l'autre (tout se passe entre 1137 et 1145), mais n'en font pas pour autant des romans historiques. Le crime commis dans des circonstances étranges, l'enquête astucieuse souvent embrouillée par des considérations politiques ou religieuses, le dévoilement souvent pénible du coupable et les longs épilogues où la vie doit continuer malgré tout ont trop d'importance pour que l'amateur de polars ne s'y sente pas à l'aise quel que soit son degré d'intérêt pour la dimension historique.

Faut admettre que le frère Cadfaël est bien attachant. Né en 1080, entiché d'une femme qu'il quitte vers l'âge de dix-sept ans pour se faire soldat dans la Première Croisade en Palestine, parcourant ainsi le monde pendant une vingtaine d'années, témoin des événements les plus douloureux mais sachant profiter des bons côtés de la vie, dont une superbe créature qu'il aimera et mettra enceinte sans le savoir, qu'il quittera malgré tout pour revenir au pays, Cadfaël n'a rien d'un contemplatif naïf et asexué. S'il se fait moine à 40 ans, c'est sans doute parce qu'il est saturé d'une vie de guerres et d'aventures. Et aussi, bien sûr, parce qu'il a la foi et qu'il pense trouver la paix de l'âme et du corps dans un monastère.

Quand nous faisons sa connaissance, Cadfaël approche la soixantaine. C'est un solide gaillard capable de jouer de la bêche et du couteau (de l'épée aussi le cas échéant). Modeste et tranquille habituellement (c'est un bénédictin!), il devient dur et fonceur lorsque les circonstances l'exigent, c'est-à-dire lorsqu'il y a de l'injustice dans l'air. Pieux sans doute, son rapport au divin est assez personnel : il rate peu d'occasions d'éviter un office, ce qui lui vaut l'animosité du Prieur (le numéro 2 à l'abbaye), et n'hésite pas longtemps à donner un coup de pouce à la Providence. Par analogie avec les romans où un policier, en même temps qu'il combat le crime, doit lutter contre un supérieur incompétent ou opportuniste, il se doit de surveiller ses arrières : le Prieur autoritaire ou le frère Jérôme lâche et hypocrite. Mais, il peut compter sur la sagesse du Père abbé, un sage homme qui sait utiliser l'expérience et le bon sens de Cadfaël, et le shérif du comté de Shropshire, Hugh Beringar, homme intègre et puissant (mais prudent parce que son avenir dépend du vainqueur de la guerre intestine qui opposent pour la succession au trône les deux petits-enfants de Guillaume le conquérant, Étienne de Blois et la princesse Mathilde). Il a d'ailleurs accepté d'être le parrain du fils de Beringar.

Ce qui lui donne une certaine autonomie, c'est qu'il est l'herboriste de l'abbaye, ce qui signifie à l'époque, pharmacien, médecin et même chirurgien. D'une part, il doit donc passer un certain temps à entretenir son immense jardin et à préparer ses potions dans une petite cabane qu'on lui concède hors de l'abbaye proprement dite; d'autre part, comme ces contemplatifs se préoccupent quand même un peu de leur carcasse matérielle, tous risquent un jour ou l'autre de se retrouver entre ses mains. Le fait d'être gallois, à une époque où les Gallois sont en principe ennemis des Anglais (pour le moment, ils se contentent de regarder les Anglais s'entre-dévorer), lui confère aussi un certain pouvoir, car les moines ou les hommes de Beringar ont souvent des problèmes de frontières ou de droit de passage avec les Gallois.

Compte tenu de ce cadre original et d'une atmosphère toujours ambiguë où s'opposent la tranquillité du couvent et la violence des guerres dont on entend toujours au moins l'écho, la beauté de la campagne anglaise et les désastres naturels pour lesquels on est souvent désarmé, le déroulement de l'intrigue se caractérise par une forme classique. Pour le lecteur, l'enquête se suit aisément, avec les rebondissements qui s'imposent, mais le ou les coupables ne sont pas toujours faciles à découvrir parce que ce n'est pas la seule puissance déductive de l'enquêteur qui fait le travail. Sans recourir évidemment à des dei in machina, c'est souvent un événement inattendu ou un témoignage tardif qui met Cadfaël sur la dernière piste : celle où on passe d'un suspect probable à un coupable réel. Coupable pour lequel Cadfaël éprouve parfois de la compassion, parce qu'il s'agit moins souvent d'un méchant maniaque ou d'un être particulièrement pervers que de quelqu'un qui avait ses raisons, même si ces raisons sont insuffisantes pour justifier un crime. C'est donc moins un puzzle qu'il s'agit de résoudre qu'une compréhension de personnages coincés dans une situation inédite qu'il faut élaborer. Telle est d'ailleurs la force de Cadfaël : la passion de comprendre les hommes.

La télévision britannique a produit, de 1994 à 1998, 13 épisodes de 75 minutes à partir des romans de Peter. Ils ont été traduits et diffusés en France, mais pas ici. On peut se les procurer sur DVD. J'en ai vu plusieurs dans la version anglaise. Le frère Cadfaël de Derek Jacobi est absolument parfait et je ne puis plus me l'enlever de la tête. En général, les personnages sont très bien rendus, de même que l'ambiance du monastère et la campagne anglaise environnante (même si cela a été tourné en Pologne, je crois). L'accent n'est toutefois pas facile à saisir. Il manque aussi quelque chose de difficile à définir qui nous laisse, malgré de très grandes qualités, sur notre appétit : comme si la contraction qu'imposaient les 75 minutes brisait le rythme du roman et faisait l'impasse de moments importants. Je recommanderais d'en regarder un pour Jacobi, quitte à utiliser les autres comme aide-mémoire après avoir lu les livres.

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