Nos valeurs sûres

PD James

MD (nov 08)

Note (décembre 2010): voir aussi ma critique du plus récent roman de P.D. James, Une mort esthétique.


En un coup d'oeil

  • Naissance: 1920
  • Nationalité: britannique.
  • Autres occupations : Ministère de l'Intérieur (1968-1979) et magistrat (section juridique de la police criminelle) (1979-1984); gouverneur de la BBC (1988-1993).
  • Premier roman publié: A visage couvert (1962)
  • Personnage vedette: Commander Adam Dalgliesh (New Scotland Yard)
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: Angleterre
  • Liste des romans traduits en français: dix-huit sur vingt sont traduits mais pas son autobiographie Time to be in earnest (2000); voir la liste.
  • Genre(s) de prédilection: procédure policière classique.
  • Ordre de lecture à respecter: préférable à cause de l'étendue 1962-1988, et ce n'est pas fini…
  • Prix: Grand prix de littérature policière en 1988 pour Un certain goût pour la mort.
  • Auteurs apparentés: Dorothy Sayers.

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À mon avis

Rares sont les amateurs de polars qui n'ont pas lu au moins un PD James depuis 40 ans. Pourtant, elle n'a pas tellement publié : 13 romans dans la série du commissaire/Comander Adam Dalgliesh; 2 Cordelia Gray, détective privée; une autobiographie; quelques autres romans. Son nom a quelque chose de familier et, ce qui est loin d'être toujours le cas, est plus reconnu que le nom de son détective. Née en 1920, épouse en 1941 d'un médecin de la Royal Army qui reviendra traumatisé de la guerre en Inde, travailleuse en administration médicale, puis fonctionnaire au Ministère de l'Intérieur, elle se met à écrire des romans policiers plutôt classiques dans les années 60 et apparaît assez rapidement comme la digne représentante moderne du polar anglais, plus bourgeois que l'écossais (Rankin, McDermid), plus pétri de culture que l'américain. Ou comme l'héritière naturelle d'Agatha Christie, ce qui est peut-être exact en termes d'importance ou de prestige, mais pas pour ce qui est du style. Même si Christie continue de produire dans les années 60, elle répète un peu la recette qui lui a valu le succès que l'on sait à partir des années 20 : le roman-puzzle, le whodunit, où les complexités de l'intrigue et les bizarreries contextuelles du crime sont confrontées au génie du détective. C'est le jeu du défi, comme celui qu'Ellery Queen aimait bien lancer à ses lecteurs. Le roman d'après-guerre rompt avec cette tradition; du moins, s'il n'a rien contre les intrigues bien ficelées, il ne s'en contente plus. Le polar-puzzle paraît soudain un peu chétif, ce qui apparaît clairement dans quelques romans décharnés du brillant John Dickson Carr. James prend ici ses distances avec la reine du crime : « Agatha Christie était la reine des énigmes, mais elle se fichait complètement de l'écriture. Moi, j'essaie de trouver l'équilibre entre le style, l'intrigue et l'étude de caractère ».

PD James s'inscrit dans la tradition de la littérature policière au sens où elle utilise quatre ingrédients classiques : une mort mystérieuse, un ensemble de suspects ayant, pour tuer, des motifs suffisants, des moyens adéquats et des occasions propices, une enquête menée par un policier ou un détective, et une solution susceptible de convenir à tous les indices que l'auteur a semés au cours de l'histoire. Le roman policier appartient à la littérature, comme n'importe quel autre genre, depuis qu'il ne se borne plus à des jeux logiques, puisque l'auteur doit construire une véritable histoire, peuplée de personnages psychologiquement crédibles, qui se déroule dans des lieux vraisemblables géographiquement et architecturalement. Ce parti pris en faveur du réalisme impose souvent à l'auteur des recherches minutieuses. De plus, l'auteur doit tenir compte (s'il ne s'agit pas d'un roman historique) de la transformation de la société et des mœurs : violence plus répandue, sexualité plus explicite, valeurs plus ambiguës, rôles sociaux permutables…

Ce qui fait que le roman est réussi ou pas, c'est la sauce qui lie tous ces éléments, c'est-à-dire la façon dont l'histoire est construite. Selon PD James, c'est la partie la plus excitante pour l'auteur, la dimension vraiment créatrice. C'est un moment où beaucoup de travail a déjà été accompli. James commence par imaginer un espace relativement clos, souvent à partir d'un site qu'elle a fréquenté dans la vie réelle : un Centre de psychothérapie (Une folie meurtrière, 63), une école d'infirmières (Meurtres en blouse blanche, 71), un collège de formation en théologie (Meurtres en soutane, 2001), une île (Le Phare, 2006). Décrire ce décor, c'est déjà créer une atmosphère, un paysage mystérieux, des couloirs sombres, des odeurs inquiétantes, des objets menaçants. Dans cette ambiance vivent des personnages au passé secret, au présent furtif et aux projets difficilement pénétrables. Plus on les voit agir, plus on soupçonne leurs désirs contradictoires, leurs passions incompatibles (Freud est passé par là). En développant leurs trajectoires, les motifs se multiplient et le crime en découle naturellement. Intervient alors un enquêteur pour démêler tout ça, qui doit être pratiquement plus versé en psychologie qu'en arts martiaux. C'est précisément le cas d'Adam Dalgliesh, poète à ses heures, commissaire de New Scotland Yard, auquel James prête les qualités qu'elle admire chez un homme : la sensibilité, le courage et l'intelligence. Meurtri par la mort prématurée de sa femme et de son enfant lors de l'accouchement, c'est un homme mûri par la douleur, fin observateur, habile stratège même s'il lui arrive de se tromper, bon meneur d'hommes et de femmes, qui boucle ses enquêtes plus facilement que sa vie.

PD James se dit influencée par Jane Austen, Dorothy Sayers, Graham Greene et Evelyn Waugh. Austen et Greene, c'est sérieux ça! Qu'on ne s'attende pas à passer à travers un de ses romans au cours d'un trajet France-Nice par Tgv, ou même Montréal-Toronto par Via-Rail. Comme un grand vin, ça se déguste lentement. L'action est lente, les détours psychologiques intéressants et abondants, les états d'âme impitoyablement mis à nu. Il faut parfois faire la pause, comme dans le temps qu'on préparait un examen, pour ne pas déborder. Rien à redire; c'est correct; mais faut relire un peu. Prendre son temps. Profiter de l'atmosphère et en jouir au point où la crainte d'en sortir l'emporte sur la hâte d'élucider la situation problématique. James cite James (Henry, celui-là) : « L'objectif d'un roman est d'aider le cœur humain à se connaître soi-même ». C'est certain que les polars de PD y contribuent. Écriture travaillée, techniques narratives sophistiquées, densité des personnages, élaboration magistrale des atmosphères, telles sont les caractéristiques des polars de PD James. Ils sont à M H Clark ce que l'opéra est à l'opérette. Il est permis de ne pas aimer, mais moi j'aime aussi l'opérette.

Une autre façon de décrire l'œuvre de PD James par les effets qu'elle produit, c'est le cri d'exaspération du turbulent critique radiophonique Mark Lawson (probablement un adepte du polar noir américain!?) : « Quand on lit James, on s'ennuie de la cocaïne et de l'enculade!  

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