Nos 5 étoiles

Rex Stout

MD (nov 08)


En un coup d'oeil

  • Naissance et mort: 1886-1975
  • Nationalité: américaine.
  • Premier roman publié: How like a God (1929) mais le premier de la cinquantaine des Nero Wolfe est publié en 1934 : Fer-de-Lance.
  • Personnages vedettes: le détective privé Nero Wolfe et son assistant Archie Goodwin.
  • Lieu de prédilection pour ses intrigues: New York.
  • Liste des romans traduits en français: Tous les Wolfe me semblent avoir été traduits.
  • Genre de prédilection: procédure policière, roman à énigme.
  • Ordre de lecture à respecter: Le contexte historique change, mais les principaux personnages sont intemporels; Wolfe a toujours 56 ans, sans quoi il aurait eu 97 ans au moment de sa dernière enquête (1975) : Une affaire de famille : donc, l'ordre de lecture est aléatoire.

Liens externes (tous en anglais)


À mon avis

J'éprouve beaucoup de reconnaissance pour Rex Stout dont les histoires de Nero Wolfe ont captivé, en les égayant, mes terribles soirs d'hiver. Ça représente presque un an de lecture si on les additionne morceaux par morceaux. Facile, amusant, pourtant diablement intelligent!

Rex Stout est né dans une famille de Quakers en 1886. Très tôt, il manifeste des aptitudes stupéfiantes en mathématiques et fera fortune, à 30 ans, en créant un système d'épargne scolaire. Ruiné par la crise de 29, il tâte l'écriture et s'engage dans une aventure qu'il poursuivra jusqu'à sa mort : les enquêtes de Nero Wolfe. Que les plus jeunes ne se fient pas aux deux séries télévisées : Les Enquêtes de Nero Wolfe (28 épisodes de 2000 à 2002) et L'Homme à l'orchidée (14 épisodes en 1981), avec pourtant de bons comédiens, Chaykin et Hutton dans le premier cas, Conrad et Horsley dans le deuxième. Ce ne sont pas des romans qui gagnent à être mis en scène; on verra pourquoi.

Fortement engagé contre le nazisme pendant la guerre, plutôt cynique dans ses romans à l'égard des communistes, Stout n'en fut pas moins suspecté par la Commission McCarthy au début des années 50, dont il méprisa le subpoena, et continua d'être soumis à l'observation du FBI (Hoover s'en méfie probablement parce qu'il est intelligent), dont Wolfe se moque d'ailleurs dans And the doorbell rang (1965); des sbires du FBI versent à son dossier en 72 : « The Doorbell rang représente une image fausse et très préjudiciable à la réputation de notre Bureau ». Il ne nous viendrait pourtant pas à l'esprit de le classer comme écrivain engagé, sinon contre la bêtise et l'esprit de clocher. Le succès de ses romans est dû au fait que les histoires sont divertissantes et que la fréquentation de Wolfe nous donne l'impression que nous devenons intelligents à l'usage. Impression d'ailleurs partagée par l'assistant de Wolfe, Archie Goodwin, et qui lui permet de supporter les excentricités et le caractère tranchant de Wolfe. Le principal travail d'Archie, en plus de s'occuper, en périodes creuses, de remplir les fiches de ces maudites orchidées (c'est lui qui le dit, car c'est un homme d'action), est de sortir son patron de sa torpeur naturelle, de l'asticoter, de le harceler jusqu'à ce que le mastodonte de plus de 300 livres explose, débouche une …nième bouteille de bière, et consente à envisager le cas qu'on lui a soumis contre une forte somme d'argent. Car Wolfe est paresseux et s'abstient de tout effort physique, sauf pour s'occuper de ses orchidées (de 9 à 11 et de 16 à 18h quotidiennement, avec son jardinier Theodore Hortsmann) ou des repas (à 13h, puis à 19h), du moins en ce qui concerne la conception, car la réalisation est assumée par son chef suisse Fritz Brenner, après des discussions épiques.

La recette des romans est moins compliquée. Wolfe est en train de brûler, page par page, dans son foyer, le dictionnaire Webster qui, selon Wolfe, a commis trop d'inexactitudes. And the doorbell rang! Leitmotiv qui signifie que ça commence pour vrai. Archie va répondre à la porte, pendant que Wolfe fulmine dans son bureau, étant donné que ce n'est ni le temps de se réfugier dans ses serres, ni celui de se sauver dans la salle à manger. Un client entre et réussit assez souvent, s'il est riche, à convaincre Wolfe de se pencher sur son problème, sauf s'il s'agit d'un cas de dissidences matrimoniales (Wolfe a presque toujours l'impression de perdre son temps quand des femmes sont impliquées de près : le génie ne peut rien contre l'hystérie!… Cependant, signe des temps, il en rencontrera une ou deux qu'il appréciera, des exceptions évidemment). Le client parti, il range l'argent dans son coffre et s'assoupit. Alors commence le travail d'Archie : d'abord, le maintenir éveillé, puis accomplir toutes les démarches, puisque Wolfe ne sort jamais de chez lui (sauf une fois pour un congrès gastronomique où, heureusement, il y eut un crime; une autre fois aussi, un agent du FBI, ou un successeur de l'Inspecteur Cramer, le Lestrade de Wolfe, eut l'audace de le traîner en prison, ce qui lui coûta très cher). Pendant que Archie s'esquinte, Wolfe s'occupe d'autres choses. Puis, Archie vient au rapport; sa mémoire phénoménale lui permet de communiquer à Wolfe, verbatim, tous les entretiens auxquels il s'est livré. On dirait que le génie s'est endormi : les yeux fermés, il respire profondément; mais ses lèvres remuent. Il réfléchit! Vient le moment crucial : Archie doit s'arranger, parfois avec l'aide de Cramer qui patauge, pour convoquer dans le bureau du Old Brownstone à, 18h ou à 21h, tous les suspects liés à l'affaire. Wolfe pose alors quelques questions, éclaircit certaines obscurités et, preuves à l'appui, livre à l'Inspecteur le criminel. Il savoure alors une autre bière et fout tout le monde à la porte.

C'est sûr qu'il y a du Holmes et du Poirot là-dedans. Mais Archie Goodwin est plus que le faire-valoir Watson ou Hastings. D'une part, ses démarches sont souvent rocambolesques; ses flirts (c'est un homme à femmes), ses ruses (il est intelligent et audacieux), ses batailles (il n'est pas invincible mais a une bonne moyenne : c'est aussi le garde du corps du grand homme), ajoutent beaucoup de mouvement au déroulement de l'intrigue; et sa relation ambiguë à son patron, dont il admire l'intelligence mais déteste la paresse, compte pour beaucoup dans le pouvoir attrayant de cette saga. Stout dépasse ainsi, en l'intégrant, ce qu'il y avait de captivant dans le roman à énigme classique, en y ajoutant une dose d'action (mais si on insiste là-dessus dans un film, on perd l'essentiel), fréquente dans le polar américain, un humour caustique et une finesse psychologique assez uniques en leur genre. Soucieux de la langue autant que son détective, il estimait que la densité des personnages et la précision des dialogues importaient plus que les complexités de l'intrigue.

D'aucuns ont surnommé Wolfe le Falstaff des détectives. Bien dit, puisque Stout jouit de la créativité de Shakespeare et de la verve de Verdi.

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