Le club des polarophiles québécois

Crapules et Cie (de Anne-Michèle Lévesque et Gilles Massicotte)

MD (25 janvier 2009)


En un coup d'oeil


À mon avis

Les Éditions Z'ailées ont été fondées en 2006 à Ville-Marie, en Abitibi-Témiscamingue. Anne-Michèle Lévesque est une passionnée de l'écriture sous bien des formes : poésies, haïkus, récits de voyage, romans pour la jeunesse. Elle publie ses oeuvres depuis 1987; c'est le roman policier Fleur invitait au troisième (2001) qui la met sur la carte canadienne en se méritant le prix Arthur-Elllis en 2002. Gilles Massicotte, après avoir été policier et enquêteur, publie des romans historiques et collabore, de temps en temps, avec A.-M. Lévesque. En 2008, ils publient Crapules & Cie.

La quatrième de couverture ne vise pas à résumer le roman. De quoi s'agit-il donc? L'action se situe en 1995 dans la petite ville de Montséjour (12 000 habitants) qui pourrait bien être en Abitibi-Témiscamingue. Le focus est mis sur les travailleurs de la Sûreté municipale et leurs recherches pour traquer un suspect, les criminels et leurs magouilles, les victimes et leur entourage. Plus précisément, trois enquêtes se chevauchent : un policier s'est fait écraser par un chauffard qui s'est enfui, des vols avec effraction se multiplient, et un enlèvement suivi d'un viol sont commis. Du 2 juin au 19 décembre, nous suivons de près les allées et venues de Myriam Dubé, qui vient d'être nommée inspecteur malgré le chef macho Denis Bédard. Avec ses collègues, le dévoué Laurier, le rigide Demers, le séduisant Lamoureux et les deux cousins Gingras, Myriam coordonne avec zèle les procédures : réunions matinales, patrouilles, entrevues avec les témoins, les voisins, les suspects, les employeurs, rapports quotidiens et mises en commun des informations, rencontres avec le procureur... C'est un véritable compte rendu de la vie quotidienne des policiers municipaux, y compris leur vie personnelle : leurs manies, leurs amours, leurs faiblesses, leurs espoirs. Et, entre eux, leurs désaccords, surtout leur solidarité. Les auteurs n'ont pas voulu rédiger un traité purement technique et c'est sûr que leurs personnages ont une certaine densité. Particulièrement, les victimes et leurs proches : la veuve du policier et surtout Ginette, la victime du viol. On nous mène ainsi tranquillement, parfois d'une façon émouvante, parfois avec humour (l'intarissable chauffeur de taxi Montambault), jusqu'au procès et au jugement final.

Par rapport aux objectifs fixés, les auteurs ont réussi leur coup. C'est bien écrit et bien composé, concis et précis. C'est un roman que devrait lire tout étudiant en Techniques auxiliaires de la justice, parce que la portée pédagogique du récit est indéniable et démystifie pas mal la vie de policier-enquêteur : pas besoin d'avoir le génie de Holmes, le charme de Mikael Blomkvist, les muscles de Bond; pas indispensable non plus d'être alcoolique, déprimé et malheureux en ménage. Et les chefs ne sont pas tous débiles, les criminels psychopathes, les enquêtes passionnantes et les aboutissements inattendus. En général, c'est un travail de fonctionnaire, sur le terrain bien sûr, mais ce terrain n'est pas contaminé par des mines antipersonnelles : à Montséjour, pas de gangs de rues, de mafias internationales, pas même de complots politiques ou économiques. Plutôt la petite vie du monde ordinaire.

Le parti pris réaliste des auteurs déteint sur le lecteur. Les partisans de romans noirs, de thrillers aux rebondissements spectaculaires ou de suspenses angoissants resteront sur leur faim. De ce point de vue, Myriam Dubé est une anti-héroïne et Crapules & Cie un anti-polar. C'est sans doute aussi pour cette raison que c'est plutôt un document sociologique appréciable qui a l'avantage de se lire comme un roman.

Ma note: 3,5