Le club des polarophiles québécois

La fin justifie les moyens (d'Anne Perry)

MD (juillet 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 2010 (Acceptable Loss).
  • Date de l'édition française: 2011 (10/18, 413p)
  • Genre: enquête, procès.
  • Mots-clés: pédophilie, étranglements, chantage.
  • Personnage principal: William Monk, inspecteur de la police fluviale.
  • Résumé: ici.

À mon avis

Le défi de Anne Perry est de toujours chercher à réaliser un équilibre entre l'aspect énigmatique du roman et son aspect psycho-sociologique. Pour ma part, ce qui m'a toujours attiré de son côté, c'est la densité des personnages qu'on apprend à côtoyer lentement (c'est le 17e Monk/Hesther; dans l'autre série, nous avons fréquenté Pitt/Charlotte près de 30 fois). Dans un polar, aussi bien qu'à l'opéra, les personnages doivent être crédibles. Avec Perry, pas de problème là-dessus. Par ailleurs, l'histoire doit également être également crédible et, dans un polar, l'histoire, c'est une énigme qui devra être déchiffrée. J'ai la nostalgie des Dickson Carr, des Van Dine, des Ellery Queen ou Patrick Quentin; mais souvent ces romans puzzle manquaient de chair, les personnages se réduisant à des esquisses prétextes ou à des caricatures. Par contre, quand le roman devient trop psychologique (surtout la psycho pour les nuls qui hante plusieurs polars américains), ou trop historique de sorte que l'énigme est devenue un prétexte pour que l'auteur nous refile ses récits de voyage ou sa conception de la société, ça frise alors la fausse représentation.

Il est arrivé à Perry d'échouer dans ce projet d'équilibre, comme il m'a semblé dans Mémoire coupable, le précédent Monk. Dans La fin justifie les moyens, j'ai craint au début que l'intrigue soit négligée. Hester repartait dans ses crises d'autoculpabilisation, Monk était déprimé par ses dernières aventures où le vigoureux limier avait été vaincu, au niveau du procès, par son ami l'éminent avocat Rathbone. Puis, on partageait le bonheur de ce dernier avec sa nouvelle épouse Margaret. Et le jeune Scuff, rescapé des abus sexuels et affectifs dont il avait été victime, partageait maintenant pour un temps la vie de Monk et Hester. Voilà beaucoup d'éléments qui risquent de faire oublier en cours de route qu'on a un meurtre à élucider, un maître chanteur à découvrir et tout un réseau de pédophiles à démantibuler.

De fait, l'intrigue semble parfois négligée : on passe beaucoup trop rapidement de la découverte du foulard de Rupert Cardew, qui a servi à étrangler le mécréant Mickey Parfitt, à la conclusion que Rupert doit être le coupable; processus qui consiste à inventer une fausse piste qu'on aura d'autant plus de facilité à démolir par la suite qu'elle n'est pas subtile. Plus loin, on retrouve le même truc : ce n'est pas parce que quelqu'un a dit s'appeler Rupert qu' on doit prendre pour acquis qu'il s'agit de Rupert. On a droit aussi à quelques beaux hasards : la découverte du pêcheur, du vendeur de sandwich, du conducteur de fiacre…

D'un autre côté, la composition est très forte : le moteur de tout ce trafic d'enfants, homme au-dessus de tout soupçon, devient progressivement très haïssable, et croulera sous le poids de sa grosse tête. Le couple Rathbone/Margaret se noue et se dénoue avec art et Perry sait créer des dialogues cruels, des formules assassines. Le procès lui-même ressemble à une bonne partie d'échecs où le vent ne cesse de tourner. Les derniers rebondissements ne manquent ni de pertinence ni de surprise.

Finalement, le début est un peu lent mais, après 200 pages, j'étais pris et je ne pouvais plus lâcher le livre, quelles que soient mes obligations familiales ou sociales, ce qui est toujours bon signe pour l'auteur que je lis. Chez Perry, les atrocités les plus cruelles sont exposées souvent avec précision, mais on s'y vautre impunément parce qu'elles finissent par être exorcisées et vaincues par les promoteurs de la justice qui, loin d'être aveugle, se réalise avec une certaine élégance. Une sorte de phrase musicale dissonante qui se réconcilie en parfaite harmonie.

NB. La lecture de Mémoire coupable n'est pas indispensable avant de lire La fin justifie les moyens.

Ma note: 4/5