Le club des polarophiles québécois

Histoires secrètes de Sherlock Holmes (de René Réouven)

MD (21 janvier 2009)


En un coup d'oeil

  • Date de publication: 2002 (Ed Denoël, Lunes d'encre, 1005 p).
  • Genre(s): énigme, polar historique, pastiche.
  • Mots-clés: aventures, énigmes.
  • Personnage principal: Sherlock Holmes.

À mon avis

Depuis deux ou trois ans, à l'époque des Fêtes, je reluquais cet énorme bouquin dans les librairies, hésitant à l'acheter à cause de son prix (60$) et du fait que j'ai souvent été déçu par les imitateurs de Conan Doyle. Cette année, je me suis risqué.

René Reouven est l'un des pseudonymes utilisés par René Sussan, né en 1925 et encore bien vert au moment où il publie, de 1982 à 1992, la dizaine de nouvelles et romans qui constitueront Les Histoires secrètes de Sherlock Holmes. Féru de romans historiques, animateur d'émissions policières et fantastiques à la radio et à la télévision françaises, il commet son premier polar en 1965 et obtient, en 1971, le Grand Prix de littérature policière pour son roman L'Assassin maladroit.

La première histoire secrète, Élémentaire, mon cher Holmes (1982), se présente sous la forme d'un triptyque où Holmes et Watson brillent par leur absence. Brillent bien néanmoins : car nous retrouvons Conan Doyle, le Dr Bell et le Dr Wood, ces deux derniers ayant justement inspiré les personnages de Holmes et de Watson. Point de départ : la première mouture de Stevenson du Dr Jekyll et Mister Hyde. En épilogue : l'enquête d'Alfred Wood aboutit à une nouvelle hypothèse sur l'identité de Jack l'Éventreur. Entre les deux, trois récits racontés par trois célèbres serial killers, le Dr Cream, Monk Eastman et Georges Chapman. Et on se promène en Écosse, aux États-Unis, à Londres bien sûr. Toujours sur la piste d'un furieux criminel. Et, ma foi, l'unité tient bon. Prix Mystère de la critique, 1983

L'Assassin du boulevard (1985) se passe à Paris. Holmes, parfaitement bilingue compte tenu que sa grand-mère maternelle était la sœur du peintre français Joseph Vernet, se lance à la recherche d'un livre pour éclaircir le rôle joué par le frère du futur mari de sa cousine, apparemment impliqué dans des attentats anarchistes. Reouven profite de l'occasion pour interpréter la période du Grand Hiatus (1891-1894) : que s'est-il réellement passé entre la mort et la résurrection de Sherlock Holmes? Une courte nouvelle ultérieure (La plus grande machination du siècle, 1990) complétera cette interprétation.

Dans Le Bestiaire de Sherlock Holmes (1987), Reouven reconstitue des histoires auxquelles Watson s'est contenté de faire allusion dans ses récits: Le Cormoran, Le Rat géant de Sumatra, Le Ver mystérieux, La sangsue rouge. Un brin de fantastique colore ces aventures où se mêlent des références à J Conrad, au Pr Challenger, au Dr Herman Holmes de Chicago et à HG Wells.

Le Détective volé (1988) reprend La Lettre volée et Le mystère de Marie Roget d'Edgar Poe : Holmes enquête à Paris sur ce vol de lettre auquel serait mêlé le Chevalier Dupin; puis, à Philadelphie, il tente d'éclaircir la mort de Poe dans des circonstances mystérieuses. Rencontre sans doute improbable, sauf que la machine à explorer le temps de Wells a probablement été mise à contribution.

Les Passe-temps de Sherlock Holmes (1989) s'inspirent aussi d'allusions de Watson et les trois nouvelles (La Tragédie des Addleton, La mort subite du Cardinal Tosca, La Persécution spéciale) sont dédiées respectivement à Josephine Tey, John Dickson Carr et Thomas de Quincey dont elles épousent le style : historique, chambre close et psycho-littéraire, y compris une élucidation de la mort de Gérard de Nerval. Double pastiche, donc, assez impressionnant.

Je passe sur quelques autres nouvelles, brèves et de circonstance.

Nous avons affaire à un grand écrivain. Et à un très grand maître ès-Sherlock Holmes. Les histoires de Reouven se lisent facilement et avec bonheur. Nous y retrouvons l'ambiance des ouvrages de Conan Doyle, surtout les romans, et notre nostalgie s'apaise pour un temps. Cet aspect est important pour Reouven : C'est un contexte qui me fascine : le brouillard, la pluie et une sorte de romantisme purement britannique qui me passionne. Par ailleurs, c'est aussi un régal pour les amateurs de polars historiques et littéraires, ou simplement pour ceux qui ont du plaisir à voir Holmes fréquenter (surtout depuis les années 70) Freud, Marx, Russell, Shaw, Jack the Ripper, Dracula, le Dr Jekyll ou le monstre du Loch Ness. Ceux qui risquent d'être un peu déçus sont les amateurs de romans à énigme, au sens suivant : le point de départ est accrocheur et le narrateur insiste sur le fait que, pour que Holmes s'intéresse vraiment à une affaire, celle-ci doit se présenter sous la forme d'un mystère ou, au moins, d'un solide paradoxe. Ceci dit, une fois le problème posé, on participe plus à une aventure (avec indicateurs, beaucoup d'argent pour faire parler les petits pégreux et les prostituées rancunières, les déguisements, l'art de déverrouiller n'importe quelle serrure, même celle de Vidocq, des beaux hasards...) qu'à une résolution d'énigme à proprement parler. Évidemment, Holmes produit quelques raisonnements astucieux, mais un peu noyés dans les nombreuses filatures, analyses psychologiques, descriptions sociologiques (fort documentées, par ailleurs, des milieux criminels de New York, par exemple). Nous sommes donc plus près, m'a-t-il semblé, des grandes aventures policières du XIXe siècle que des romans à énigme d'Agatha Christie ou d'Ellery Queen.

En prime : une excellente préface de Jacques Baudou et une bibliographie qui tient compte du travail de Sussan/Reouven à la radio et à la télé.

Ma note: 4,5 / 5


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