Le club des polarophiles québécois

Un homme très recherché (de John Le Carré)

MD (janvier 2010)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 2008 (A most wanted man).
  • Date de l'édition française: 2008 (Seuil, Points, 408p).
  • Genre(s): thriller, espionnageé
  • Mots-clés: clandestins, Hambourg, banque, agents secrets
  • Personnage principal: Gunther Bachmann, agent secret allemand
  • Très bon résumé: ici
  • Liens externes:

À mon avis

C'est avec une grande satisfaction que j'ai retrouvé un auteur délaissé depuis si longtemps que je ne sais même plus pourquoi. Pourtant, depuis 1961 (L'appel du mort), John Le Carré (né en 1931) produit un roman tous les 2 ou 3 ans. Leur qualité est toujours reconnue. Mais son hyperréalisme (pure fiction, selon lui) n'est pas à mettre entre toutes les mains. C'est probablement en opposant son Smiley aux James Bond qu'on a commencé à parler d'anti-héros. Ses espions, en effet, se caractérisent plus par une odeur de fonctionnaire (au mieux de diplomate) que d'aventurier. Et ses histoires ne se terminent pas toujours bien. Ce sont donc de vrais thrillers, loin des aventures de Tintin ou de l'Arche perdue. L'auteur a de l'humour (voir le site anglais) mais ses personnages ne sourient pas beaucoup et les situations prêtent moins à rire qu'à réfléchir. Si on cherche à se délasser avec San Antonio ou Pennac, vaut mieux éviter John Le Carré.

Ces généralités s'appliquent parfaitement à son dernier roman, Un homme très recherché. Ça commence lentement : une filature incongrue dans une rue brumeuse de Hambourg, du genre M le Maudit. Dans l'art du rythme, Le Carré est un maître. Le crescendo qu'il construit aboutit à un final abracadabrant, pourtant bien orchestré pour traduire la confusion ahurissante dans laquelle travaillent les différentes agences de renseignements, avec leurs informations fragmentaires, leur luttes de pouvoir internes et internationales, leur besoin devenu vital de briller dans les journaux pour relever le prestige de leurs organisations. Pour un Turc ou un musulman, passer d'étranger à suspect, puis à coupable, s'effectue en un tour de main et quelques courriels. Dans le même esprit, passer de l'aide humanitaire à la déloyauté, puis à la complicité pour accomplir un attentat terroriste, s'accomplit en un clin d'œil. Depuis le 11 septembre, dans une ville comme Hambourg d'où se sont envolés les terroristes, tout le monde a intérêt à porter attention à la fesse sur laquelle il s'asseoit.

En quelques traits, Le Carré peint quelques personnages qui s'incrustent facilement dans notre mémoire. Ils sont nombreux, mais on reconnaît sans peine la différence entre un personnage principal et un auxiliaire. La mémoire n'est donc pas surchargée et l'intrigue se déroule avec clarté et cohérence, bien que les rapports de force établis ne nous permettent pas de deviner, ni de déduire, le dénouement. Surtout quand on sait que l'auteur n'est pas un optimiste. Notre satisfaction ne vient pas du fait qu'on participe aux châtiments des mauvais et à la gloire des bons, frontière d'ailleurs pas toujours évidente chez notre auteur, mais plutôt du fait que nous avons l'impression d'être un peu plus intelligents, du moins lucides, ce qui n'est pourtant pas nécessairement vrai. Le Carré recourt plus, il le répète souvent, à son imagination qu'aux sciences politiques. Mais son imagination est celle d'un homme à la tête bien faite. Un grand plaisir.

Ma note: 4,5 / 5