Le club des polarophiles québécois

Honteuse (de Karin Alvtegen)

MD (5 janvier 2009)


En un coup d'oeil


À mon avis

Coquetterie ou clin d'œil, chacun des cinq romans écrits par la Suédoise Karin Alvtegen commence par la lettre S : Skuld (1998), Saknad (2000)/ Recherchée, Svek (2003)/ Trahie, Skam (2005)/ Honteuse, et Skugga (2007)/ Ténébreuses. En 2001, Recherchée a reçu le prix du meilleur roman scandinave de l'année, dont les récents récipiendaires ont été l'Islandais Indridason et le Suédois Larsson et, auparavant, Jo Nesbo (98), Karin Fossum (97) et Mankell (92). Pour ma part, j'ai commencé par Trahie qui m'a impressionné par son art de décrire comment, en s'imaginant se conformer à ce qu'on croit qu'autrui veut de soi, on se construit soi-même, en réalité, selon ses besoins et ses limites. Très sartrien, et le thème de la mauvaise foi est d'ailleurs bien filé. Puis, j'ai traversé Recherchée tout d'une traite. On y sent les courants anti-psychiatriques des années 70 : Laing, Cooper, Esterson. Une jeune femme, transformée en malade mentale par sa famille pour sauver la stabilité de la dite famille, devenue marginale asociale, mais non dépourvue d'imagination, recherchée pour meurtre par les autorités policières, met à jour un peu malgré elle une sombre et complexe machination. Puis, dernièrement, j'ai achevé Honteuse.

Qu'une chose soit bien claire : Alvtegen est une grande écrivaine. Pas besoin de lire le suédois pour l'affirmer. C'est écrit avec clarté, intelligence et précision, je dirais même minutie. C'est d'ailleurs nécessaire dans ce genre de roman où les nuances psychologiques constituent les éléments fondamentaux. Chez Boileau-Narcejac, le personnage central s'enlisait mine de rien, petite négligence, puis petite lâcheté, et finissait par se noyer complètement. Il y a de cela ici, mais comme si on le percevait aussi de l'intérieur par une progression d'émotions et de sentiments qui mènent irrésistiblement à la confusion la plus totale. Puis, de là, parfois à la libération et à la révélation, comme une toile pointilliste de Seurat.

L'action est lente et peu spectaculaire. Si on emprunte à mon collègue Jacques et à Norbert Spehner la distinction selon laquelle dans un thriller l'auteur joue avec nos nerfs alors que dans un suspense il joue avec nos tripes, Alvtegen maîtrise l'art du suspense. Le lecteur s'inquiète, devient anxieux, le mal s'insinue hypocritement, l'angoisse apparaît au tournant : comment l'épouse de Trahie se sortira-t-elle de son bourbier (et s'en sortira-t-elle?); comment la recherchée mal foutue pourra-t-elle devenir une accusatrice convaincante? Comment ici la culpabilité et la honte qu'éprouvent Monika et Maj-Britt pourraient-elles mener ailleurs qu'à une conduite d'échec?

D'un point de vue littéraire, c'est un très grand roman qui peut rappeler Bernanos (j'ai pensé à Nouvelle histoire de Mouchette). D'un point de vue de polarophile? Bien embêtant. Dans Trahie, il y avait un crime (et même deux), même si ce n'était pas l'essentiel. Dans Recherchée, tous les ingrédients du polar se retrouvent, même si nous nous attachons peut-être plus à la jeune femme comme telle qu'à l'intrigue. Dans Honteuse, toutefois, les principaux personnages ne sont pas liés à un meurtre (même si un genre de crime survient); nous n'avons pas non plus affaire à une enquête policière. Et, si on oublie un instant les subtilités psychologiques, la grande attente du lecteur, c'est de savoir comment l' histoire de Monika et celle de Maj-Britt vont se connecter. Peu exaltant!

En conclusion : un grand roman mais un mince polar.

Ma note: 3.5 / 5


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