Le club des polarophiles québécois

Mat (de Ronan Bennett)

MD (septembre 2009)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 2007 (Zugzwang)
  • Date de l'édition française: 2009 (Sonatine, 295p)
  • Genre: thriller historique.
  • Mots-clés: tournoi d'échecs, révolutionnaires russes.
  • Personnage principal: Otto Spethmann, psychanalyste.
  • Bio-bibliographie de l'auteur et résumé du roman: ici.
  • Lien externe: en prime, pour les amateurs d'échecs: .

À mon avis

Il m'arrive de choisir un livre au hasard, de vouloir me faire une heureuse surprise, d'essayer un auteur dont je n'ai jamais entendu parler. Très souvent, les surprises ne sont pas si bonnes. A quoi se fier? Dans ce cas-ci, la qualité matérielle du livre, la sobriété quasi minimaliste de la page couverture (un roi du jeu d'échecs) et ce seul titre : Mat, blanc sur fond rouge, ont sans doute guidé ma main. Heureusement que je ne m'étais pas aperçu que ce Mat prétendait traduire le titre anglais Zugzwang, traduction suffisamment erronée pour que je choisisse un autre livre. D'autant plus que la commentatrice Katherine Neville signale que c'est certainement le meilleur thriller jamais écrit sur les échecs. Heureusement, ce n'est pas le cas : ce n'est pas un thriller sur les échecs et le dénouement ne ressemble ni à un mat ni à un zugzwang (terme allemand qui désigne une situation où le joueur à qui c'est le tour de jouer ruine sa position du seul fait qu'il doit jouer).

Le fait de ne pas pouvoir résumer aisément l'intrigue est bon signe. Bien sûr, il est question d'échecs : la toile de fond du récit, c'est l'extraordinaire Tournoi de St-Pétersbourg de 1914, où seuls les meilleurs joueurs du monde étaient invités. Les amateurs d'échecs qui ont sans doute joué et rejoué plusieurs de ces parties historiques seront rapidement gagnés par la nostalgie. Des personnages importants du drame participent ou assistent à ce tournoi. En même temps, on prend plaisir à la finale que le psychanalyste Otto Spethmann et le violoniste polonais Kopelzon entretiennent jusqu'à la fin du récit. Enfin, la vedette montante Avrom Chilowitz Rozental, un des favoris avec Lasker et le jeune Capablanca, est soigné par Spethmann, à la demande de Kopelzon. Le reste est de l'ordre de la métaphore.

La force de ce récit, son côté intrigant, c'est le cas de le dire, c'est que nous le vivons surtout par les yeux du docteur Spethmann, qui est au centre de l'affaire dans la mesure où tous les protagonistes importants entretiennent des rapports avec lui, (aussi bien la police officielle et la police secrète, l'Okhrana, que le révolutionnaire bolchevique Grigori Petrov), sans pourtant comprendre le moindrement ce qui se passe. Traversé par des forces politiques qui le dépassent, Spethmann mène une petite vie sans histoire avec sa fille, ses rares amis, une maîtresse éventuelle et ses patients : qu'est-ce que c'est que toutes ces horreurs qui semblent tout à coup envahir son existence? Il lui est impossible de comprendre (et de résumer) ce qui se passe parce qu'il n'y comprend rien. On pense un peu à L'analyste de Katzenbach. Un peu, parce que L'Analyste est un pur chef-d'œuvre. On retrouve l'angoisse qui s'empare de celui qui doit agir sans avoir la moindre idée de ce qu'il doit faire parce qu'il se meut en plein non-sens. Sauf que Spethmann pratique plutôt la fuite en avant aux résultats souvent malheureux. Sa connaissance des hommes est surtout livresque. Et s'il s'en sort en partie, ce sera bien malgré lui.

Bennett, que ses mésaventures personnelles ont transformé en écrivain engagé, illustre ici, sans trop insister, l'idée que le fait de ne pas se préoccuper de l'Histoire n'empêche pas l'Histoire de s'occuper de nous. Les personnages principaux, peu nombreux, renferment une part de mystère qui les rend inquiétants et imprévisibles. Bon rythme : pas le temps de s'ennuyer. Ce quatrième roman a été composé à partir d'un feuilleton, ce qui ne se sent pas : montage réussi. L'intrigue n'est pas alourdie par des considérations historiques dans la mesure où elle en fait partie (Bennett est devenu docteur en Histoire en 1987, ce qui apparaît comme un heureux dénouement pour ce jeune Irlandais emprisonné deux fois à tort après avoir été accusé de complicité dans des activités violentes de l'IRA).

A cause du contexte historique, j'ai pensé aux romans de Boris Akounine : dépaysement garanti et pourtant récupération européenne, que ce soit par la psychanalyse freudienne (Bennett) ou par la méthode hypothético-déductive de Holmes (Akounine). Je ne suis cependant pas certain que la structure du polar sera, à l'avenir, suffisamment polyvalente pour permettre à Bennett de communiquer tout ce qu'il a à dire.

NB. Rozental représente évidemment Rubinstein.

Ma note: 4/5