Le club des polarophiles québécois

Pages à brûler (de Pascale Quiviger)

MD (novembre 2010)


En un coup d'oeil


À mon avis

Une femme est portée disparue. Une femme est trouvée dans une décharge municipale. Est-ce la même? Les génotypes ne coïncident pas. L'Inspecteur Lincoln, dont le chien s'appelle Polar, écrit à sa femme : J'ai senti que ce cas allait exiger de moi une sorte d'intelligence que je n'ai jamais cultivée; je me suis demandé s'il n'était pas trop tard .

C'est la quatrième publication de Pascale Quiviger depuis 2001; son deuxième, Cercle parfait (2003) a obtenu le Prix du Gouverneur général. Elle fut une de mes brillantes étudiantes au Collège Maisonneuve et j'avoue avoir été surpris de la voir publier un thriller poétique. Non pas, évidemment, parce qu'elle est intelligente (qualité que j'ai eu plaisir à retrouver dans ce roman), mais parce que ce n'était pas tellement son genre. J'aurais dû me méfier.

J'en veux à l'éditeur d'avoir laissé passer l'expression thriller poétique. Peut-être rentable à court terme parce que, comme les livres de cuisine, les thrillers se vendent bien. Mais, à moyen terme, mauvais calcul, parce que les amateurs de thriller seront frustrés (c'est mon cas) et que les amateurs de poésie se méfieront de l'appellation.

Ça commençait pourtant bien : une sorte de polar qu'aurait écrit Gaétan Soucy, avec des personnages ambigus, étranges, même le policier, on l'a vu, qui écrit à sa femme pour lui expliquer ses absences plutôt que de lui téléphoner ou de lui parler de vive voix. On comprend qu'ils sont bien occupés et n'en finissent plus de se croiser trop rapidement.

Puis, le récit, change brusquement de voies et de voix : celle du chien de l'inspecteur; puis, du pyromane Robert Durham; de Constance Fullum (morte en 44), la mère de Cassandre Chablis, qui est elle-même peut-être la mère de Clara la disparue; de Charles Kieffer (mort en 2009), père de Daniel Kieffer, l'ami de Clara; de Fanny Kieffer et de Daniel. Chacun s'exprime dans un langage qui lui est propre. C'est ici que nous constatons que Quiviger écrit avec le plaisir de l'écrivaine littéraire plutôt qu'avec celui du bâtisseur d'énigmes. Encore que cette opposition est probablement inexacte, puisqu'il reste le problème de savoir ce qui est advenu de Clara et celui de deviner les liens entre ces récits et le destin de Clara.

Je voulais dire : l'intérêt de Quiviger est ailleurs : Je suis fascinée par le fait que chacun d'entre nous vit une expérience différente. En tant qu'écrivain, je suis obsédée par le langage et je trouve que souvent, même la communication la mieux faite, la plus transparente, ne nous donne jamais accès à l'autre. Avec l'imaginaire, j'essaie de faire des ponts entre les personnages. (Entrevue au Voir). Le coup de départ de type thriller est donc une sorte de leurre, que l'écrivaine peut bien se permettre, mais pas l'éditeur. Car s'il est réjouissant de trouver une bonne écrivaine, il est frustrant pour un amateur de polar de jouer à la cachette dans le noir avec des ombres quand on attend le dévoilement limpide d'un problème initial ahurissant suite à une enquête menée avec le brio d'une soprano colorature.

Donc : faut en dire un mot pour clarifier la situation, mais une chronique littéraire conviendrait davantage à cet ouvrage dont l'évaluation excède mes compétences.

Ma note: ? / 5