Le club des polarophiles québécois

Le père des mensonges (de Brian Evenson)

JH (décembre 2010)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 1998 (Father of Lies).
  • Date de l'édition française: 2010 (Le Cherche midi, 234p)
  • Genre: polaroïde, roman à thèse, roman noir.
  • Mots-clés: religion, pédophilie, délire.
  • Personnage principal: Eldon Fochs, Doyen (prêtre) de la Corporation du sang de l'Agneau; pédophile et assassin.
  • Résumé et critiques (unanimement favorables): ici, et encore .

À mon avis

Brian Evenson a été élevé chez les Mormons et a fait carrière, entre autres, à l'université Brigham Young (mormone), avant d'en être expulsé, pour ses écrits jugés antireligieux. Depuis, il règle ses comptes, avec une série de romans qui explorent les turpitudes les plus glauques de l'âme humaine - parmi lesquelles il range les églises et la religion.

Mais plutôt que d'adopter le style du pamphlétaire, il choisit de nous montrer ce continent sombre de l'intérieur. Je qualifie ce roman de polaroïde, en ce sens que, s'il y a bien des meurtres et même un procès, c'est un épiphénomène. On sait très tôt que le personnage principal, sous ses dehors de pasteur respectable, est un pédophile, violeur, assassin et vaguement schizophrène. La question n'est donc pas de savoir qui a fait le coup ni même s'il va se faire prendre (la réponse est non, et je ne vous prive pas d'un punch), mais plutôt comment un tel monstre peut exister.

Evenson jour sur plusieurs registres, mêlant les points de vue et les genres: extraits de correspondance, notes cliniques, coupures de presse, rêve éveillé, monologue intérieur et narration classique. Mais, pour l'essentiel, c'est la narration à la première personne (et donc faite du point de vue du criminel) qui constitue l'essentiel de ce bref roman coup-de-poing.

Il n'est pas inutile de se rappeler que même si la traduction française est toute récente, ce roman fut écrit en 1998, soit bien avant que n'éclatent, partout à travers l'Occident, les histoires d'horreur des prêtres pédophiles. Il pouvait paraître prémonitoire à l'époque, j'imagine. Mais l'actualité le rejoint et lui donne d'autant plus de pertinence.

Et Evenson, sans excès de mots, avec une écriture quasi-clinique qui rappelle parfois celle de L'étranger de Camus, déboulonne les assises de l'église qu'il décrit (et, s'il ne dit pas qu'il s'agit des Mormons, cela doit être uniquement pour éviter les poursuites!) et mène une charge formidablement efficace contre les hiérarchies religieuses.

Roman original, atypique, irritant par moments, mais qu'on ne peut pas lâcher, malgré ses excès. Une lecture troublante, qui révolte autant qu'elle décourage, mais qui ne laissera personne indifférent ... même si on n'est dans le polar que sur l'extrême frange.

Ma note: 4/5