Le club des polarophiles québécois

Starvation Lake (de Bryan Gruley)

JH (juin 2010)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 2009 (Starvation Lake)
  • Date de l'édition française: 2010 (Le cherche midi, 472p)
  • Genre(s): suspense, roman noir.
  • Mots-clés: hockey, journal, petite ville.
  • Personnage principal: Gus Carpenter, ex-gardien de buts des River Rats de Starvation Lake et rédacteur en chef du journal Pilot.
  • Résumé détaillé et critique: ici
  • Lien externe: le site du roman, conçu par l'auteur, avec visuel des principaux lieux de l'intrigue.

À mon avis

Un polar pour amateurs de hockey! C'est en effet ce sport qui est au centre de la vie du petit patelin de Starvation Lake, un coin perdu du nord du Michigan, près de la frontière canadienne. Il faut évidemment, traduction française oblige, que les Québécois comme nous fassent la concession de Il shoota le palet dans le goal avec sa crosse ainsi que Les Detroit Red Wings, mais bon, à part ce défaut agaçant et récurrent, nous tenons là un chef d'oeuvre. (Note pour les lecteurs non québécois: nous dirions plutôt Il lança la rondelle dans le but avec son bâton et nous parlons des Red Wings de Detroit).

Gus, le personnage principal, est un loser né. Il a raté, adolescent, sa carrière de hockeyeur lors d'un match crucial. Et, dix ans plus tard, il a raté un Pulitzer et sa carrière de journaliste, encore une fois à cause d'une mauvaise décision. Le voilà de retour dans son village natal, dirigeant la feuille de chou locale, lorsque le courant du lac fait remonter à la surface l'épave de la motoneige sur laquelle Coach Blackburn, l'entraîneur légendaire de l'équipe de hockey, a perdu la vie un soir d'hiver, sur la surface gelée du lac. Le seul ennui, c'est que Blackburn a été vu se noyant dans un autre lac.

À partir de ce déclencheur, Gus va se taper une longue et difficile enquête dans le passé. Eh oui! vous vous doutez bien que l'accident de Coach Blackburn n'avait rien d'accidentel, même si cela avait à l'époque fait l'affaire de tout le monde.

L'intrigue est ainsi joliment posée, mais elle ne démarre pas sur des chapeaux de roue, loin de là. Au point que, pendant la première moitié du roman, on pense avoir affaire à un (excellent) polaroïde du type de Seul le silence, de R.J. Ellory. Dans ce milieu clos de petite communauté rurale, l'auteur installe ses personnages: les jeunes hockeyeurs qui aspirent pour la première fois au championnat de l'État sous la gouverne inspirée de Coach Blackburn; les adultes avec leurs petits commerces et la petite politique municipale; Gus et son copain Soupy, amis à la vie à la mort; et Coach Blackburn lui-même, héros local mais dont le passé comporte des trous bien mystérieux. L'auteur joue aussi, en narrations croisées, du décalage temporel entre l'époque de l'adolescence de Gus et l'époque actuelle. Il y a un constat sociologique fascinant à voir ce que sont devenus, dix ans plus tard, ces ados qui avaient, autrefois, illustré sur la glace l'épopée des River Rats de Starvation Lake. L'alternance du point de vue (naïf) de Gus adolescent avec celui de Gus journaliste, devenu enfin plus lucide, est une réussite complète.

Avec un talent d'écrivain très sûr (et une visible connaissance du monde du hockey des petites ligues), Gruley plonge dans les racines sociologiques et économiques d'une petite communauté, dans un réseau trouble d'alliances, de secrets et d'influences. Les personnages sont criants de vérité, tous présentés avec leus complexité, leurs qualités mais aussi leurs tares, leurs médiocrités et parfois leurs turpitudes. Et même si le rythme est très lent (on se demande même si l'intrigue va déboucher un jour!), ça se lit avec passion, tellement les personnages sont vrais et tellement les anecdotes secondaires sont bien racontées (et on verra vers la fin qu'elles ne sont pas si secondaires que cela - mais c'est une autre histoire).

Signalons enfin que même si, comme moi, vous n'êtes pas un amateur de hockey, cela ne devrait pas vous tenir à l'écart de ce roman: l'auteur a le talent nécessaire pour rendre les inévitables comptes rendus de matches et d'entraînements absolument passionnants.

Mais que les amateurs de vrais polars se rassurent: l'auteur, après nous avoir fait pénétrer dans son univers dans la première moitié du roman, se recentre sur l'intrigue dans la seconde partie. Et même s'il n'y a pas foison de retournements spectaculaires comme dans un thriller, l'histoire est correctement déployée, comporte quelques surprises et se résout de façon satisfaisante.

Un roman qui se lit d'une traite et qui nous annonce peut-être l'arrivée d'un nouvel auteur majeur du polar (dont c'est le premier roman). Espérons seulement que Brian Gruley ne sera pas une étoile filante comme beaucoup d'autres ...

Ma note: 5/5 et Coup de coeur.