Le club des polarophiles québécois

La vengeance volée (d'Irène Chauvy)

MD (août 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 2011 (Les nouveaux auteurs et Prisma).
  • Genre: polar historique.
  • Mots-clés: crimes et mutilations, chantage, Second Empire.
  • Personnage principal: capitaine Allonfleur (Cent-gardes), inspecteur Martefon (Sûreté).
  • Quatrième de couverture et commentaires succincts mais justes: ici.
  • Mini-bibliographie : .

À mon avis

C'est toujours un peu émouvant de lire le premier roman d'un auteur. C'est souvent décevant également : il s'en publie tellement! Dans ce cas-ci, le roman d'Irène Chauvy (originaire des Cévennes, juriste de formation, vit à Dijon et travaille comme cadre administratif à l'Université de Bourgogne) a gagné le prix du concours organisé par le père du Commissaire Nicolas Le Floch, Jean-François Parot : le prix Ça m'intéresse, Histoire du Polar Historique 2011. Je me suis donc lancé dans l'aventure avec espoir. Et je n'ai pas été déçu.

Chauvy évite la lacune habituelle d'un polar qui affiche avec insistance sa dimension historique pour déculpabiliser les lecteurs qui ont honte de se livrer au côté ludique d'un roman et s'efforcent de le compenser, quitte à l'annuler, par une accumulation de connaissances, historiques justement. Rien de cela ici : nous n'avons affaire ni à un carnet de voyage dans le temps, ni à un déguisement de la revue Miroir de l'Histoire, ni à un prétexte policier pour papoter sur les manies de Napoléon III, l'œuvre du baron Haussmann ou la mode féminine durant le Second Empire. Et pourtant, tout cela s'y trouve, mais intégré comme un décor au théâtre ou à l'opéra, toile de fond minutieuse et pertinente qui met en valeur l'intrigue policière et les personnages au lieu de les engloutir sous un fatras malvenu.

Que viennent donc faire deux cadavres au palais des Tuileries et dans le salon de la princesse Mathilde, assassinés, mutilés et, qui plus est, des cadavres de domestiques? L'Empereur compte sur le beau, jeune et fringant capitaine Allonfleur pour éclairer ce mystère, auquel on associe le policier retraité et bougon Amboise Martefon pour tempérer les ardeurs du jeune capitaine des Cent-Gardes. Voici donc un vrai problème dont les données immédiates sont simples et un duo improbable d'enquêteurs sympathiques et efficaces par leurs différences : l'ardent capitaine apprendra à encaisser des coups sur le tas, sur la tête aussi, mais goûtera également certains plaisirs non négligeables, sous le regard vigilant et un peu voyeur de l'inspecteur d'expérience Martefon. L'auteure n'a pas besoin de 700 pages pour donner beaucoup de substance à ses principaux personnages auxquels on s'attache facilement. Leur enquête est bien menée surtout à Paris, mais on visite aussi Dijon où la nourriture est généreuse et le bourgogne coule à flot. La recherche des criminels s'effectue au cœur d'un art de vivre enviable et les horreurs sont contrebalancées par des plaisirs qui expliquent peut-être, au fond, pourquoi le vieux Martefon ne se résout pas à quitter la scène.

L'attrait du dépaysement joue son rôle : j'ai plus pensé au Cadfael de Ellis Peter qu'au Pitt ou au Monk de Anne Perry. Étrange à constater mais, pour nous québécois, et malgré notre enracinement dans la culture française, la vie sous le Second Empire est très différente de la vie quotidienne à Londres à la même époque qui nous déconcerte peu. L'allusion médiévale au bon frère Cadfael est sans doute exagérée, mais je voulais souligner que, malgré la réalité de ce dépaysement, la finesse psychologique de l'auteure, ses touches d'humour bien réparties, ses allusions érotiques bienvenues, amusantes plus que complaisantes, rendent ce récit très moderne et ces personnages très familiers.

Comme c'est le premier roman de Madame Chauvy et que j'ai l'impression que plus elle développait les aventures de Allonfleur et Martefon plus elle se disait que ce ne serait pas facile de s'arrêter là (grand bien nous fasse!), se mêlent à l'intrigue principale plusieurs autres petites énigmes d'inégale importance dont les clarifications nous en apprendront davantage sur les principaux personnages. C'est ainsi avec beaucoup d'habileté que tous les fils échappés çà et là se relient vers la fin; l'inconvénient de la manœuvre est que, une fois que le mystère essentiel est éclairci, d'autres problèmes d'ordre plutôt personnel sont résolus à leur tour, ce qui brise un peu l'élan du crescendo primordial. S'il s'agit là d'une sorte de préparation pour la prochaine aventure de nos deux héros, c'est avec joie que nous n'insisterons pas.

On dit souvent que l'amour du chef transparaît dans son plat. Dans La vengeance volée, j'ai perçu beaucoup d'amour et une joyeuse intelligence.

Ma note: 4,5 / 5 et Coup de coeur.