Eric Wright

La nuit de toutes les chances
Une odeur de fumée
Une mort en Angleterre

La nuit de toutes les chances (d'Eric Wright)

MD (avril 2009)

Voir aussi l'entrée Valeur sûre sur cet auteur.


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 1983 (The Night the Gods Smiled, St-Martin's Press)
  • Date de l'édition française: 2004 ( Alire, 246 p. )
  • Genre(s): procédure policière classique, whodunit.
  • Mots-clés: milieu universitaire torontois, meurtre énigmatique.
  • Personnage principal: Charlie Salter, inspecteur de la police de Toronto.
  • Prix: Arthur-Ellis 1984 (Wright en obtiendra trois autres).
  • Bio-bibliographie de Wright et résumé du roman : ici.

À mon avis

Excellente initiative des Éditions Alire que de traduire la série des 11 Charlie Salter écrits entre 1984 et 2002. Eric Wright est un des grands romanciers canadiens-anglais contemporains (né en 1929 à Londres mais arrivé au Canada en 1951). Professeur d'Anglais au Ryerson Institute of Technology de Toronto, il est bien placé pour décrire la ville de Toronto et le milieu universitaire qui servent souvent de toile de fond à ses polars de facture classique : procédures d'enquête qui suivent un meurtre énigmatique, interrogations des suspects qui ont tous quelque chose à cacher, hypothèses trompeuses, rebrassage des suspects, fil directeur qui se tisse tranquillement, élagage, élucidation, soulagement de la tension et apaisement de la conscience.

Comme nous sommes sollicités depuis quelques années par des polars noirs, des tueurs en série sanguinaires, des thrillers politico-techno d'envergure internationale, et des profileurs d'autant plus efficaces que névrotiques, c'est certain que les romans de Wright ont un petit côté vieillot, une odeur d'antiquaire, le charme des vieux quartiers, le réconfort des pâtés chinois de ma jeunesse. Il me semble que, de nos jours, Agatha Christie écrirait ce genre de polars. Charlie Salter n'a sans doute pas le charisme et l'éclat d'un Poirot, mais il procède de la même façon, plus comme un détective que comme un policier avec son équipe, dans un milieu peint avec application et ironie. Les villes de Toronto et de Montréal, à l'époque post-révolution tranquille, ne manquent pas de crédibilité : autant dans la manière d'y vivre (la comparaison entre les terrasses de la rue St-Denis et les chaises éparpillées de la rue Blair est convaincante, sans parler des bars de danseuses de la rue Sainte-Catherine) que dans la façon dont un policier de 46 ans y réagit. Les personnages sont suffisamment limités en nombre pour être développés avec pertinence.

Ce premier roman a connu un succès immédiat et plusieurs commentateurs anglais l'ont expliqué par la personnalité de Salter. En fait, Salter est une sorte d'anti-héros. Il n'est admirable ni par ses prouesses physiques, ni par ses petites cellules grises, ni par son pouvoir de séduction, ni par l'acharnement d'un pitbull. C'est un gars bien ordinaire, un père de famille peu enthousiaste, un mari fidèle par crainte des complications (et sa femme est particulièrement jalouse), ce qui ne l'empêche quand même pas de fantasmer, un coéquipier peu sociable parfois étonnamment bête avec ses collègues ou certains suspects. Au fond, nous n'avons pas de mal à nous identifier à lui : mêmes problèmes de famille et de milieu de travail, crise de la quarantaine, pas très progressiste mais capable d'apprécier un bon repas avec un collègue québécois aux tendances indépendantistes, et déterminé à résoudre un problème même s'il ne court pas après. Pour des raisons de politique interne, les autorités policières l'ont un peu tassé sur une voie de garage; mais on sent que la réussite de son enquête le fait sortir du purgatoire administratif et que l'image négative qu'il a de lui-même se transformera au cours des dix années qui viennent.

La littérature policière canadienne-anglaise (N Spehner : Le Roman policier en Amérique française, p 373 à 404; et la Revue Alibis ) a peut-être autant de mal à se faire connaître que la québécoise, sans compter qu'elle doit rivaliser avec l'américaine, ce qui n'est pas un cadeau. Des auteurs sont rendus à espérer qu'on les confonde avec des Américains ou des Britanniques pour être pris au sérieux. Pour nous du Québec, c'est une occasion agréable de nous insinuer dans une culture voisine, surtout auprès d'auteurs qui tiennent à se démarquer de la tendance américaine : Eric Wright en est un, mais aussi Howard Engel dont on a pu apprécier à la télévision les Benny Cooperman Mystery Series, et L. R. Wright (aucun lien de parenté avec Eric) dont le sergent Alberg de la Gendarmerie royale du Canada enquête surtout dans l'Ouest canadien. L'étrange familiarité qu'on y ressent nous en apprend plus sur nous que l'exotisme scandinave ou sud-africain.

C'est donc avec beaucoup de plaisir que je me suis attardé dans ce roman d'Eric Wright. L'auteur sait conter une bonne histoire avec une économie de moyens. C'est un genre de polars dont je m'étais ennuyé sans m'en rendre compte. Sûrement pas mon dernier Wright.

Ma note: 4/5


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La nuit de toutes les chances
Une odeur de fumée
Une mort en Angleterre

Une odeur de fumée

MD (juin 2009)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 1984 (Smoke Detector, HarperCollins)
  • Date de l'édition française: 2004 ( Alire, 246 p. )
  • Genre(s): procédure policière classique, whodunit.
  • Mots-clés: milieu des antiquaires torontois, incendie criminel.
  • Personnage principal: Charlie Salter, inspecteur de la police de Toronto.
  • Bio-bibliographie de Wright et résumé du roman : ici. Ou encore le compte rendu de F-B Tremblay, in Revue Alibis #14, p.132.

À mon avis

Très reposant. Et ce n'est pas dit de façon péjorative. J'avais prévu y revenir. Et je suis satisfait. Ce n'est pas un genre qui plaira à tout le monde : roman d'enquête très classique dont on connaît la recette depuis Agatha Christie. Avec des solutions moins astucieuses que dans le cas de Poirot ou de Marple. Salter, sans doute, parvient à percer les premières apparences, grâce à son intuition, dont se méfie pas mal son patron l'expérimenté Orliff; mais cette intuition est insuffisante, heureusement, car elle est souvent perturbée par ses préjugés d'anglo-protestant né au début des années 40. D'où un rebondissement ultime avant le final, dû à sa conscience professionnelle qui sait tirer profit d'un beau hasard, d'une information apparemment anodine ou d'un morceau du puzzle qui s'insérait mal jusque là.

On pourrait donc rapprocher ces romans des cozy mysteries (cf. mon article sur Martha Grimes, in En Vrac) : peu de violence, le crime est souvent rapporté plutôt que de nous l'offrir en direct; importance du milieu : dans Une Odeur de fumée, toute personne qui a visité Toronto à quelques reprises reconnaîtra les lieux, particulièrement les rues des antiquaires, le coin des rues Yonge et Bloor, le Kensington Market et les épiceries fines avoisinantes; et l'attrait principal, le leitmotiv dominant, c'est Charlie Salter lui-même, un gars somme toute bien ordinaire, aux prises avec des crimes de tous les jours, mais aussi avec son gars de 14 ans qui cache sous son lit des revues pornos et s'interroge sur son identité sexuelle, la jalousie et le besoin de travailler de sa femme, et surtout la maudite porte-moustiquaire dont une roulette est brisée. Ça rappelle un peu la famille du commissaire Brunetti (Donna Leon), mais en plus terre-à-terre : Toronto n'est quand même pas Venise, Salter n'a pas le prestige de Brunetti ni Annie le panache de Paola. Contexte, donc, plus réaliste qu'exotique, d'un point de vue ontarien ou Est-canadien, si on accepte de situer l'Ontario à l'est plutôt qu'au centre du Canada. En tout cas, c'est à l'est du Manitoba.

Écriture simple, nombre de personnages limité, composition plutôt linéaire malgré quelques circonvolutions, solutions satisfaisantes aussi bien quant au déchiffrement de l'énigme, aux relations entre Salter et son fils et à la réparation de la porte-moustiquaire. D'où le retour à l'équilibre et au repos anticipé. J'ai apprécié aussi le souci de l'auteur consistant à lier cette aventure à l'épisode précédent : la collaboration plus importante du sergent Gatenby, un coup de téléphone à son ami policier québécois Henri O'Brien, la rencontre imprévue avec Browne, le directeur du département d'Anglais du Douglas College, un service à demander à son collègue aux Homicides Harry Wycke, et le restaurant où il emmène ses fils et qui lui rappelle un moment émouvant de son enquête précédente. Ça ne veut pas dire qu'il faut nécessairement lire tous les romans dans l'ordre chronologique; mais ça signifie que Wright attache beaucoup d'importance au réalisme de ses histoires et de ses personnages.

En prime, finalement, l'amorce d'une réflexion sur l'homosexualité, le traitement des Canadiens d'origine japonaise pendant la guerre (entre autres, la ville de Toronto avait limité à 700 le nombre de Japonais ayant droit de vivre dans cette ville), les problèmes liés aux services de santé (refrain bien connu ici aussi), mais tout cela mine de rien, comme en passant. Humour discret également : après s'être fait examiner à quelques reprises les parties intimes à l'hôpital, Salter s'examine à son tour : Tout avait l'air normal, quoique beaucoup plus petit que dans son souvenir.

Ma note:

4/5


La nuit de toutes les chances
Une odeur de fumée
Une mort en Angleterre

Une mort en Angleterre

MD (juin 2009)


En un coup d'oeil

  • Date de publication originale: 1985 ( Death in the old country, HarperCollins)
  • Date de l'édition française: 2005 (Alire, 244p)
  • Genre: procédure policière.
  • Mots-clés: assassinat, disparition, auberge anglaise.
  • Personnage principal: Charlie Salter, policier de Toronto (en vacances).
  • Prix: Arthur-Ellis 1986
  • Résumé: ici (faire défiler).

À mon avis

Après quelques lectures déprimantes, je me suis retrouvé avec bonheur sur les petites routes de la campagne anglaise avec Charlie Salter et sa digne épouse Annie, que les vacances en Angleterre, loin des enfants et de Toronto, rendent très compréhensive. Eric Wright est devenu pour moi une valeur sûre, même si certains, dont mon collègue Jacques Henry, risquent de le trouver un peu trop reposant. Après un premier (La Nuit de toutes les chances) qui m'avait ravi, mais peut-être justement parce que c'était le premier (effet coup de foudre) et qu'il se passait en partie à Montréal (un Torontois à Montréal, c'est un peu comme un American in Paris), j'ai bien aimé aussi le deuxième (Une Odeur de fumée), mais ce troisième est encore meilleur. C'est celui qui se rapproche le plus d'un Agatha Christie, pas seulement parce que l'action se situe en Angleterre.

Comme Salter est en vacances et bien qu'il ait des rencontres avec les policiers de Tokesbury Mallet (surtout pour avoir des tuyaux sur les courses) et ceux de Toronto, il agit plus comme un détective que comme un policier officiel. Puis, malgré une escapade à Florence, les unités de temps et d'espace sont respectées, et le nombre des principaux personnages est limité. L'intrigue semble facile à dénouer dans un premier temps, d'autant plus que quelqu'un se dénonce lui-même, mais quelques rebondissements nous brouillent la vue et nous finissons par y perdre notre latin. Les escarmouches entre le surintendant Hamilton et Salter rappellent les passes d 'armes entre l'inspecteur Japp et Poirot. Mais c'est surtout une question d'ambiance : grisâtre évidemment car il pleut continuellement, mais égayée par un humour discret et avivée par des personnages mémorables comme les improbables Maud et Henry. Encore une fois, il ne faut pas essayer de résoudre le problème avant Salter, qui met toujours la main sur des indices auxquels nous ne pouvons pas avoir accès avant lui. Nous ne sommes pas dans un roman-puzzle à la Ellery Queen. Plutôt dans un cozy mystery, que certains trouveront reposant et plaisant, et d'autres pantouflards et rétros.

Probablement que l'attrait principal pour plusieurs est ce personnage de Salter dans lequel nous retrouvons une bonne partie de nous-mêmes : ses problèmes de père et d'époux dans la quarantaine de plus en plus avancée, sa vie qui serait peut-être un peu morne sans les cadavres qui s'accumulent, son intelligence juste assez aiguisée pour se rendre compte qu'il n'est pas un génie, et son tempérament brouillon, peu tolérant, plutôt abrupt, assez rancunier, mais un bon diable au fond.

Ma note:

4/5

La nuit de toutes les chances
Une odeur de fumée
Une mort en Angleterre