Le club des polarophiles québécois

La faim de la terre (de Jean-Jacques Pelletier)

MD (novembre 2009)

Voir mon entrée 5 étoiles sur J.-J. Pelletier.


En un coup d'oeil


À mon avis

Ça fait six ans qu'on attend la suite du Bien des autres, cette Faim de la terre venant achever la longue saga Les gestionnaires de l'apocalypse. Ce premier tome compte plus de 750 pages, le deuxième 830. Je me contenterai de réagir au tome I. Pelletier est vraiment l'auteur qui m'a convaincu du présent et de l'avenir du polar québécois (au sens large). J'ai aimé son rythme, ses personnages, son univers, ses intrigues. En 2003, Le bien des autres m'avait peut-être un peu moins emballé; ça ne m'empêchait pas d'attendre le nouveau Pelletier avec une certaine frénésie.

Qu'est-ce qui n'a pas marché? Pourquoi est-ce que ça n'a pas levé d'un centimètre? Pourquoi n'y croit-on plus du tout? A part des réponses faciles, du genre j'ai vieilli ou mes goûts ont changé, ou des réponses risquées, du genre il a vieilli ou ça ne devait plus lui tenter de mettre trop d'énergie là-dessus, j'essaie de comprendre un peu plus objectivement ce qui s'est passé. D'abord les personnages : même pour quelqu'un qui a tout lu Pelletier, et deux fois plutôt qu'une, les F, Blunt, Chamane, Hurt, Fogg, et tous les autres, manquent d'épaisseur psychologique, donc de crédibilité. Pour quelqu'un qui commencerait par ce livre, ce serait encore plus incompréhensible. Ce qui est certain, c'est que Pelletier n'est plus intéressé à nous faire comprendre ces personnages (pas seulement stratégiquement, mais aussi personnellement), sauf peut-être Théberge. Mais, même entre lui et sa femme, les deux personnages les plus proches du roman, il existe très peu de rapports humains : il entre chez lui, ouvre une bouteille, elle fait des mots croisés, bonne journée chéri? Évidemment, ils sont mariés depuis un bout! Mais, même entre Chamane et sa supposée blonde, toujours très occupé chacun de son côté, la communication vole bas : pour lui faire comprendre qu'elle est enceinte, ça lui prend bien des pages. De plus, les principaux personnages ne font pas grand chose : F s'isole même de sa colocataire, Blunt, dans son appartement vénitien, marche de long en large, pose une pierre sur un jeu de go (et me rappelle cruellement Les treize derniers jours), Hurt suit quelqu'un et on l'envoie en Chine; Fogg téléphone à F. Mais chacun a plutôt tendance à rester seul chez lui, les ordinateurs s'occupant de tout : pister quelqu'un, enquêter, communiquer par voix ou textes, fouiller une pièce, échanger de l'information, protéger un appartement, repérage de quartier, prévision de catastrophes. Les méchants laissent des indices énormes, passent des messages explicites (deux sous-marins nucléaires pour faire sauter les calottes glaciaires, c'est assez clair), mais les spécialistes de l'Institut consultent leurs ordinateurs.

Et puis, il y a trop de personnages, trop de lieux, trop d'activités (importantes ou pas, allez savoir) : après 100 pages, mes schémas ne tenaient plus en 4 pages. Je veux bien qu'on me déconcerte, qu'on me piège, qu'on me plonge en pleine confusion, et qu'on me laisse quelques indices, avec parfois quelqu'un qui nous aide à y voir clair dans le roman. Ici, plus on s'avance, plus on s'enfonce. Donc, on décroche : aucun lien de sympathie ne nous retient, aucun besoin d'éclaircir le mystère, aucun rythme captivant (trop discontinu). On finit par croire que nous sommes dans un monde post-apocalyptique où tout est décousu, déshumanisé (je pensais parfois à un polar d'Asimov qui se passe dans un monde où chacun ne sort jamais de chez soi), inconsistant, désorganisé. Sauf dans le cas des méchants qui jouissent, au contraire, d'un rare sens de l'organisation, d'une fortune considérable, d'une redoutable efficacité quasi internationale et d'une existence qui s'est développée à l'insu de tous les services plus ou moins secrets, de toutes les armées, de toutes les pègres (à col blanc ou en T-shirt) de toutes les milices gérées par les multinationales. Il ne me semble pourtant pas que Pelletier souhaiterait qu'on soit administré par ce genre de gouvernement mondial, mais le lecteur n'est pas loin d'y songer.

Restent Grondin et Rondeau qui font leur possible, la charge contre les médias populistes qui ne l'ont pas volée, (contre les autres aussi dans la mesure où les grands journalistes d'enquêtes se font de plus en plus rares, et les médias servent de relais aux forces qui s'en servent), la critique de la compétition et du manque de communication entre les organisations secrètes gouvernementales ou paragouvernementales, la mise en relief de la destruction de la planète et un humour d'autant plus inattendu que moins fréquent, comme la riposte d'un policier à un journaliste à propos d'un homme retrouvé gelé dans un bloc de glace. Ce sont là, évidemment, des ingrédients intéressants, mais qui ne suffisent pas à construire une énigme captivante et à ficeler une histoire intéressante.

A moins que ce diable de Pelletier prenne pour acquis que la fin du monde est déjà commencée, que les relations humaines chosifiées, l'inefficacité des puissances traditionnelles et la stérilité de nos héros habituels en sont des signes éloquents, et que la lutte contre le Cénacle se terminera par une amère et spectaculaire défaite à laquelle nous sommes déjà condamnés. On comprendrait alors qu'observer et décrire ce phénomène sont des activités assez déprimantes pour lui comme pour nous.

Ma note: 3/5