Le club des polarophiles québécois

Intrusion (de Elena Sender)

MD (juin 2011)

Note: ce même roman a été commenté par Jacques en septembre 2010. Voir le compte rendu.


En un coup d'oeil


À mon avis

C'est le premier roman d'une jeune femme, diplômé en biologie et journaliste de vulgarisation scientifique. Toujours un peu émouvant de découvrir un auteur. Beaucoup de critiques très positives sur les blogs de la part de lecteurs que j'ai trouvés très complaisants. La meilleure façon d'encourager un auteur qui laisse entrevoir un certain talent me semble plutôt de corriger son tir dès le départ plutôt que de lui flatter la bedaine.

Un certain talent : si le roman avait eu 200 pages de moins, en supposant qu'on eût coupé aux bons endroits, on aurait apprécié un certain sens du suspense, une progression dans l'horreur, un dévoilement bien dosé du non su, ici, en l'occurrence, de l'oublié, et une certaine densité des personnages qu'il aurait fallu, à mon sens, mieux répartir. Qu'on se méfie de tout le monde, et que personne ne soit d'emblée sympathique, ce peut être une énorme qualité, mais je ne suis pas certain que Sender n'ait pas voulu rendre Cyrille Blake attirante (plusieurs lectrices l'ont perçue ainsi), alors qu'elle m'est apparue comme une emmerdeuse de premier ordre, toujours portée à sauver le monde alors qu'elle n'est même pas capable de prendre soin d'elle. Qu'elle est lourde et pénible! « La reine des connes! » (p.478), dit-elle d'elle-même dans un éclair de lucidité. Mais ce n'est pas le principal problème, même si c'est vrai que le lecteur aime bien s'identifier à quelqu'un d'un peu héroïque.

Le principal défaut, à mon humble avis, tient à un souci de l'auteure, pas en soi détestable, et qui se répercute ici de façon doublement négative : le souci de faire vrai et ses effets déplorables : une description méticuleuse des techniques médicales, dont Patricia Cornwell avait assez rapidement saisi les limites; et le reportage sur la Thaïlande où sont transplantés nos héros, je parle de Cyrille et de Julien qui, pour lutter contre la pègre asiatique, doivent se transformer en James Bond et Cat Woman, alors qu'ils ont de la misère à nouer leurs lacets de bottine. A partir de Bangkok, les couleuvres se multiplient : la vérité de la ville se substitue à la vraisemblance des personnages et de l'action. Le suspense, au lieu de s'intensifier, se perd dans l'incongruité et le mélodramatique. Et l'aspect technique des opérations lobotomiques ou de l'application du mésératrol ralentit l'action sans rendre la situation plus horrible ou plus mystérieuse. Somoza, Fawer et Crichton parviennent à intégrer efficacement les éléments scientifico-techniques. Je sais bien que la comparaison est un peu injuste, mais c'est surtout pour suggérer des pistes de lecture.

Bref, il y a là du potentiel. Mais il faut assumer que les règles et les joies d'une œuvre d'imagination sont différentes de celles du reportage ou de la vulgarisation scientifique.

Ma note: 3,5 / 5