Le club des polarophiles québécois

Sauf la mort (de Maureen Jennings)

MD (février 2012)


En un coup d'oeil

  • Date de publication : 1997 (Except the Dying).
  • Date de l'édition française: 2011 (Ed Encore, 255 p.), 2000 (Le Masque) .
  • Genre: Enquête policière, historique (fin XIXe à Toronto).
  • Mots-clés: détroussages de cadavres, opium, prostituées.
  • Personnage principal: détective William Murdoch (police de Toronto).
  • Bio-bibliographie (en anglais): ici.
  • Voir aussi l'article que j'ai écrit sur la série télévisée Les Enquêtes de W Murdoch.

À mon avis

Quand j'avais écrit cet article sur la série télévisée, je n'étais pas encore parvenu à trouver les romans de Maureen Jennings ni en anglais (publiés depuis 1997) ni en français (publiés au Masque depuis 2000). Mais depuis les trois films produits à partir de 2003 et, surtout, depuis la série télévisée qui en est maintenant à sa quatrième saison, la popularité de Murdoch a grimpé en flèche et la maison d'Éditions Encore a entrepris récemment de republier les romans de Jennings. Sauf la mort est son premier.

Née à Birmingham un peu avant la guerre, Maureen Jennings s'est amenée en Ontario en 1956. Après des études en philosophie, en psychologie et en littérature anglaise, elle est devenue professeure d'Anglais à l'Institut polytechnique de Ryerson où elle a eu le bonheur de rencontrer plusieurs collègues qui deviendront écrivains eux aussi, dont Erich Wright qui est resté un de ses grands amis et conseillers, et dont j'ai parlé à quelques reprises dans mes chroniques. Psychothérapeute depuis 1972, elle n'abandonne pas sa passion pour l'écriture, fait jouer sa première pièce de théâtre en 1991 et son premier roman en 97, Except the dying justement. Depuis 2008, elle est écrivaine à plein temps et semble avoir beaucoup de plaisir à superviser les séries télévisées de Murdoch.

Ce qui m'a frappé en tout premier lieu, c'est que ce premier roman est écrit avec beaucoup d'aplomb, composé avec rigueur et simplicité, plaisant à lire, entre autres parce que les personnages importants sont peu nombreux et définis avec assez de précision. Beau travail de traduction également. Puis, j'ai été agréablement surpris par quelques passages politically uncorrect : on sait que Murdoch est un bon catholique qui, devant un cadavre, fait le signe de croix, mais on apprend qu'il préfère parfois lire plutôt que d'aller à la messe le dimanche et surtout que, ayant perdu sa fiancée prématurément il y a deux ans (typhoïde), et alors qu'il est toujours dans la force de l'âge, dans la solitude de sa chambre, il s'adonnait au péché, et même la menace de la confession ne parvenait pas à l'en dissuader (p. 52). C'est étonnant de la part d'une écrivaine du genre vieille dame très digne (en réalité, pas si vieille : elle n'a pas 60 ans quand elle écrit cela), mais ce n'est pas gratuit parce que souvent Murdoch a des réflexes de curé (même dans la série télévisée) et il faut contrebalancer ça par d'autres traits de caractère qui nous le rendent plus humain, plus sympathique.

Qui donc a tué cette jeune femme nue et gelée, abandonnée dans une ruelle obscure? Qui lui a procuré de l'opium? Pour quelle raison s'est-on débarrassé d'elle? Quand un témoin apparent se manifeste, il disparaît à son tour. Murdoch poursuit deux ou trois lièvres en même temps. Malgré l'aide du colossal Crabtree, la situation est malaisée.

Comme dans la série, la description de la ville de Toronto, ici en 1895, est minutieuse, qu'on se promène dans les bas-fonds ou qu'on entre dans les clubs réservés à la grande bourgeoisie. Ça nous rappelle un peu le Londres de l'Inspecteur Pitt de Anne Perry. On n'est pas loin du documentaire. Peut-être même un peu trop, dans ce premier roman, et je promets d'en lire un plus récent pour voir si l'équilibre entre l'intrigue policière et la description historique est un peu plus débalancé en faveur de l'intrigue et de son élucidation. A la télé, l'historique, toujours présent, sert vraiment de toile de fond; le focus est nettement sur l'enquête. Et le côté scientifique de Murdoch, ses relations ambiguës avec la docteure Ogden, la distribution de haut calibre et bien choisie, les problèmes à résoudre qui ont allure de puzzle, _tout cela apporte une saveur originale à l'émission, une des meilleures séries policières depuis longtemps. Dans le roman, on voit un peu apparaître ce côté scientifique de Murdoch quand il ne se contente pas des méthodes de Bertillon et commence à s'intéresser plutôt aux empreintes digitales. Mais ce n'est qu'un début.

Ce souci primordial de la description minutieuse de la dimension historique entraîne peut-être que l'enquête bénéficie moins de l'astuce de l'inspecteur que d'heureux hasards grâce auxquels les problèmes sont résolus. On dira, sans doute, que les indicateurs, les témoignages tardifs, les beaux hasards, les dénonciations, tout cela fait partie d'une enquête policière réaliste, comme il s'en produit tous les jours. Mais justement, un lecteur de romans policiers souhaite un peu plus de magie, de rebondissements qui stimulent l'adrénaline; on veut que l'auteur se joue un peu de nous, s'amuse à nous tromper, puis à nous ébahir.

Nous n'en sommes pas encore là, mais ça n'empêche pas ce roman d'être très bien fait et de nous donner le goût de retrouver ce jeune homme aux vertes espérances qu'est l'inspecteur Murdoch.

Ma note: 4/5