Le club des polarophiles québécois

En anglais seulement, hélas


C'est bien connu: l'offre d'édition est incomparablement plus substantielle en anglais qu'en français. De toute la pépinière anglo-saxonne, ce sont les éditeurs français qui déterminent ce qui sera disponible en traduction pour les lecteurs francophones. Les très grands succès finissent généralement par être traduits (parfois avec quelues années de retard, mais bon ...). Mais plusieurs excellents auteurs ou romans ne sont toujours pas disponibles, pour des raisons parfois obscures de marketing, de droits, de préférences éditoriales ou simplement parce que les agents littéraires américains n'ont pas jugé que le marché francophone méritait leurs efforts.

Enfin, pour les auteurs anglophones traduits, n'oubliez pas que ce n'est pas nécessairement toute leur production qui est traduite en français. Parfois même (droits d'auteurs sans doute moins chers!), ce sont leurs romans les plus mineurs qui le sont. Alors, si un auteur vous a allumé dans sa traduction française, il y a des chances que vous trouviez, en version originale anglaise, des oeuvres excellentes non traduites (ou pas encore - puisque, sauf pour les auteurs les plus populaires, il peut parfois s'écouler plusieurs années entre l'oeuvre originale et sa traduction).

Ci-dessous, donc, quelques recommandations d'auteurs peu ou pas traduits en français ou de romans exceptionnels en anglais qui, s'ils étaient disponibles en français, se seraient retrouvés dans nos catégories Nos 5 étoiles, Les valeurs sûres ou Nos coups de coeur.

Si vous avez quelque aisance à lire dans la langue de Shakespeare, prière de vous précipiter!


Les auteurs


Greg Iles (JH)

Seulement quatre des romans de cet auteur ont été traduits en français. Sa production, comme on peut le voir sur son site, est plus abondante, et toujours d'une grande qualité.

Plusieurs de ses romans se situent à Natchez, dans le Mississipi profond, où les séquelles des anciennes tensions raciales sont encore bien tenaces. L'avocat Penn Cage est le héros de ces quelques romans sudistes. Mais Iles est un auteur polyvalent et curieux. Après avoir commencé sa carrière en marchant dans les traces de Ken Follet ou de Frederick Forsyth avec deux romans de conspiration post-nazie, il touche aussi bien au thriller métaphysique sur fond de science-fiction (The Footprints of God, un chef d'oeuvre, voir ci-dessous) qu'à la médecine scientifique, flirte avec l'éso avec un polar touchant la transmigration des âmes (Passion mortelle, pas son meilleur), écrit le polar de référence sur le kidnapping (Vingt-quatre heures pour mourir) et explore le monde de la création picturale (La femme au portrait).

Ce sont tous des romans très forts, construits autour des tensions psychologiques entre des personnages denses plutôt que sur les intrigues à rebondissements multiples. Bien qu'il prenne la peine de fouiller la psychologie de ses personnages, l'écriture demeure fluide, sans enflure ni longueur, et soutient constamment l'intérêt. Une valeur sûre, selon moi.

Voir cependant, un compte rendu très critique de La femme au portrait, par mon copain Michel qui n'a visiblement aucune affinité avec cet auteur!


Kay Hooper (JH)

Voici une auteure qui a fait de tout et, pendant longtemps, de la chick lit et du romantic suspense, ce qui n'est pas ma tasse de thé. Mais il y a un créneau original dans son oeuvre considérable qui mérite le détour, à mon avis: la série (trois trilogies, en fait) de Bishop Special Crimes Unit, qui relève de ce que j'appellerais le thriller psychique. Un chef de division du FBI (Bishop) met sur pied une brigade bien particulière, réunissant des enquêteurs qui ont chacun un "don" paranormal: télépathie, empathie, télékinésie, précognition etc. Je suis loin d'être un fondu du fantastique et du surnaturel à la Stephen King et je fuis d'habitude ce genre de romans. Mais Hooper n'en met qu'une pincée, au sein d'enquêtes de police par ailleurs classiques. Les enquêteurs spéciaux sont loin d'être des Supermen et leurs habiletés spéciales leur causent bien des problèmes et des souffrances. Non seulement ces dons ne sont pas parfaitement fiables et ne s'utilisent pas à volonté, mais ils coûtent cher en énergie nerveuse et en douleur. Voir réellement, par la pensée, un crime en train de se commettre en pouvant se mettre dans la peau du criminel ou de la victime n'est pas de tout repos et les enquêteurs sont souvent en burnout! De même, savoir que la victime est en danger d'être noyée parce que le contact psychique qu'on a avec elle indique une peur extrême de l'eau, mais sans pouvoir la localiser précisément, cela ne fait pas nécessairement avancer l'enquête comme par magie.

Si on est prêt à jouer le jeu et à faire la concession d'un ésotérisme malgré tout assez sage, ce sont des romans dont la qualité est constante, avec des intrigues bien ficelées et des personnages très attachants.

Voir le site officiel de l'auteure. Et la liste des 9 romans de la Bishop Special Crime Unit est ici.


William Bernhardt (JH)

Si le polar juridique est votre tasse de thé, après avoir exploré les incontournables Margolin, North Patterson et autres Martini, vous aimerez les romans de William Bernhardt. Aucun n'est traduit en français (peut-être que son agent ignore que la francophonie existe?), si bien qu'il faut aller dans la langue d'origine. Parmi une production abondante, une dominante: la série mettant en vedette son avocat Ben Kincaid. Le personnage est savoureux et attachant, même s'il est caricatural: idéaliste, naïf, éternel enfant qui n'a que faire des contraintes quotidiennes de la vie, champion des causes désespérées qui ne lui rapporteront pas un sou, ignorant que les femmes peuvent être autre chose que des amies (au désespoir de son associée, Christine McCall, qui est amoureuse de lui mais attend qu'il s'en aperçoive!), il devient un plaideur redoutable, ce qui nous vaut des scènes de prétoire absolument délectables. Les causes qu'il défend sont toujours teintées de préoccupations sociales, allant de la liberté de croyance et d'expression à la protection de l'environnement en passant par l'égalité des sexes. Les autres membres de sa petite équipe sont tout aussi typés et attachants et se complètent fort bien pour toujours l'aider à gagner des causes à première vue perdues.

Depuis les trois derniers romans de la série, toutefois, Bernhardt a pris un virage similaire à celui de Richard North Patterson: il passe du polar juridique au thriller politique. Devenu, presque par accident et malgré lui, sénateur, Kincaid, jeune, naïf et inexpérimenté dans ce monde de la magouille de haut niveau, se trouve mêlé à des enjeux nationaux aussi bien qu'aux corruptions du Capitole, qu'il combat comme s'il était encore dans une cour de justice - au prix de grandes complications professionnelles et personnelles.

Bref, un auteur assez classique, avec des intrigues bien construites mais conventionnelles; l'intérêt de la série vient toutefois du caractère original de ses personnages récurrents et de la façon habile dont Bernhardt fait interagir les vies personnelle et professionnelle de son héros. Pour cette raison, même si l'intrigue proprement juridique ne l'exige pas, il vaut mieux lire la série dans l'ordre chronologique.



Les romans isolés


The Footprints of God, de Greg Iles (JH)

Avec ce roman, nous sommes bien plus près du thriller métaphysique, voire de la science-fiction, que de l'authentique polar. Cela fait de ce roman un bloc erratique dans l'oeuvre plus classique d'un auteur de polar comme Greg Iles. Mais celui a permis de réaliser, à mon avis, son chef d'oeuvre. Voir ici pour un bon résumé critique de ce roman exceptionnel qui réussit à allier un rythme de thriller à une réflexion philosophique portant sur la signification de l'existence de l'humain sur Terre.