Seul le silence |
JH (11 janvier 2008)
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Roger Jon Ellory est un auteur britannique, mais qui situe ses intrigues aux États-Unis (ici, dans une petite ville de Georgie, puis à New York). Seul le silence est son cinquième roman, mais le premier traduit en français et celui qui, visiblement, lui apportera une notoriété internationale. Sur les blogues policiers francophones, c'est clairement l'auteur de l'année.
C'est un assez maigre polar, mais un magistral polaroïde. Oui, il y a un tueur en série qui, sur les quelque trente années que dure le roman, accumule les meurtres de petites filles. Mais ce n'est ni son identité (révélée à la toute fin du roman, et de façon un peu bâclée) ni son modus operandi, ni les mobiles du tueur (qui demeurent obscurs, même à la fin) qui importent. L'aspect policier de l'enquête est secondaire, voire minimal, et la police et le système judiciaire n'en sortent pas grandis, loin de là. Mais l'intrigue polar proprement dite n'est qu'un prétexte, et pas très important.
L'essentiel du roman, c'est l'impact de ces meurtres successifs sur la psyché du personnage principal, que l'on voit évoluer depuis une tendre enfance dans une petite ville jusqu'à une carrière d'écrivain à New York, après un cortège considérable d'épreuves, d'amours, d'amitiés, de morts, de découvertes et d'échecs. Seul le silence est d'abord un roman d'apprentissage dans la grande tradition. Et ensuite l'histoire d'une obsession: celle qui anime Vaughan pour trouver une explication à ces meurtres
La narration est impressionnante: les critiques ont évoqué à son propos les grands romanciers américains comme Mailer, Faulkner, Capote, Irving, et ce n'est pas excessif. Les personnages sont tous profondément vivants, attachants pour la plupart et Ellory sait faire vivre avec intensité et émotion les terreurs enfantines, les premiers émois amoureux, les amitiés viriles, bref, les moments importants et significatifs d'une vie. Comme lecteur, on tombe amoureux des femmes du narrateur, on ressent de l'estime pour ses amis, on frémit et on vibre avec lui. De même pour les climats et les univers romanesques: celui, fermé et étouffant, de la petite ville sans avenir aussi bien que celui de la bohême de Brooklyn. L'écriture est soignée, souvent lyrique et poétique, mais jamais gratuite, une qualité rare dans le monde du polar. Quelques longueurs et les inévitables pages en italiques (une manie déplaisante qui a hélas tendance à se répandre), mais qui sont plus que compensées par une écriture magistrale et une capacité d'évocation remarquable.
Si vous abordez ce roman comme un polar conventionnel, vous serez déçus et vous vous ennuierez sans doute pendant de longues pages: pas d'indices significatifs, l'identité du tueur qui devient assez tôt prévisible, pas d'enquête digne de ce nom, des policiers assez peu présents et généralement incompétents. Mais si vous le considérez comme un polaroïde et savez apprécier la griffe d'un grand écrivain, original, poignant et évocateur, vous vous délecterez. S'il faut attribuer à ce roman une note qui ne tienne compte que de l'aspect polar, ce serait un 3. Mais cela ne rendrait absolument pas justice à cette oeuvre majeure et forte, qui nous hante encore même une fois refermée la dernière page.
Ma note: 4,5 / 5 et Coup de coeur polaroïde.
Seul le silence |
JH (septembre 2010)
En un coup d'oeil
À mon avis
R.J. Ellory s'est imposé dans l'édition française depuis la parution fracassante du magnifique Seul le silence (voir ci-dessus) et de Vendetta (que je n'ai pas lu, mais dont on a dit beaucoup de bien). Ce roman-ci n'est malheureusement qu'à demi satisfaisant.
Pendant toute la première moitié de roman, on assiste, en narration croisée, à ce qui semble deux histoires sans lien entre elles (mais oui, elles vont se rejoindre après!). La première, qui est un police procedural classique, place l'inspecteur Miller devant une série de meurtres de jeunes femmes qui, malgré un modus operandi identique, n'ont aucun lien entre elles. En fait, leur seul dénominateur commun, c'est qu'elles semblent ne pas avoir eu d'existence: pas d'amis, pas de famille, aucune trace d'elles remontant à plus de quelques années, identités douteuses. L'autre histoire, qui tient du roman d'espionnage, raconte l'histoire de John Robey, un jeune idéaliste qui, par conviction puis par amour, s'engage dans la CIA pour sauver le monde et qui devient un tueur sans scrupules, particulièrement chargé de liquider des sandinistes au Nicaragua à l'époque des Contras et d'Oliver North.
Quand les histoires se rejoignent, c'est que, évidemment, Robey devient le principal suspect des meurtres en série de Washington. L'ennui, c'est qu'il semble vouloir collaborer à sa propre capture et tout faire pour faire avancer l'enquête, autrement stagnante, de l'inspecteur Miller!
Elllory a visiblement des comptes à régler avec la CIA et ses coups tordus dans les affaires internationales. La ligne n'est pas claire (et c'est sans doute voulu) entre la recherche et la fiction, mais le but du roman est clairement de brosser un portrait d'horreur de cet État dans l'État qu'est devenue la CIA et de la barbarie de ses interventions un peu partout dans le monde. Tous les moyens - mais absolument tous - sont bons pour protéger une certaine conception de l'Amérique contre tous ceux qui pourraient la menacer à l'étranger.
Attendez-vous donc à un réquisitoire politique et à des méchants plus grands que nature, Ellory ne faisant pas dans la dentelle. Sur le plan de l'intrigue, toutefois, on nage dans le brouillard presque jusqu'à la fin (comme Miller) et lorsque les choses s'éclairent enfin, c'est coup tordu par-dessus coup tordu, mais dans une narration un peu confuse qui excelle à nous faire comprendre la confusion de Miller, mais qui, pour le lecteur, ne pèche pas par excès de limpidité.
L'auteur a (il l'a démontré dans Seul le silence) un réel talent d'écrivain. Sa description de la psychologie de Robey est étoffée et il traduit bien le paradoxe du personnage, mélange de monstruosité et d'humanité. Mais n'attendez pas le souffle, la cohérence et la profondeur humaine de Seul le silence. Les anonymes est un gros bouquin (un peu trop long pour l'intérêt qu'il présente) qui n'est pas dépourvu d'intérêt, mais qui, entièrement mis au service de sa thèse politique, perd de sa qualité littéraire et finit pas lasser quelque peu.
Ma note: 3,5 / 5
Seul le silence |
RP (Février 2011)
La
fille du gouverneur de la Nouvelle-Orléans a été enlevée et le cadavre de son
garde du corps découvert dans le coffre d’une luxueuse voiture ancienne. Ce
cadavre a été mutilé et on a tracé le dessin de la constellation des Gémeaux
dans son dos. Le FBI est responsable de l’enquête. Il n’a aucune piste jusqu’à
ce qu’un inconnu appelle et fasse comprendre qu’il détient la fille. Par la
suite le mystérieux interlocuteur fait une requête très surprenante : il
viendra se livrer et dire des choses à condition que ce soit Ray Hartmann qui
recueille sa confession. Sous cette condition la fille du gouverneur sera
récupérée vivante. Au FBI personne ne connaît Ray Hartmann car c’est un obscur
policier de New York qui travaille à la sous-commission judiciaire du Sénat sur
le crime organisé. N’ayant pas le choix le FBI accepte le marché et voit
arriver dans ses bureaux un étonnant bonhomme au calme et au charisme
impressionnants. Il s’appelle Ernesto Perez. Il demande donc à être entendu par
Ray Hartmann. On lui donne satisfaction et il parle, il est alors insatiable.
Cela dure plusieurs jours, ça fatigue les types du FBI et nous aussi car le
type ne se contente pas de dire pourquoi il est là et ce qu’il veut mais il
nous inflige toute l’histoire de sa vie et c’est pas beau une vie de mafieux!
Ce type se raconte longuement, en long, en large, en travers. On s’aperçoit
alors que c’est un psychopathe dangereux mais qu’il aime sa maman et ses
familles, la vraie et la mafieuse. Qu'il est bien poli et cultivé. Après avoir
occis quelques dizaines de victimes, il lui arrive ce qu'il a fait souvent
subir aux autres et là il trouve que c’est douloureux. Tout ça en ne nous
épargnant aucun détail sordide, dans un style littéraire du meilleur effet.
Je
n'étais pas franchement enthousiaste en attaquant ce pavé de 650 pages
racontant une histoire de mafieux, car je n'aime pas du tout ce genre. Ces
psychopathes aussi cruels qu’obtus qui plaisent tant aux cinéastes américains
qui les célèbrent avec complaisance, me tapent sur les nerfs. Mais il y a
Ellory et j'ai espéré qu'il traiterait le sujet différemment. Hélas ! Dès le début du
récit le style d'Ellory qui m'avait enchanté dans Seul le silence a
commencé à m'irriter : j’ai trouvé qu’il se regardait écrire en multipliant les
longueurs inutiles (tel un auteur français). La suite n’a fait que confirmer la
pesanteur du récit, surtout dans les parties les basses œuvres du crime organisé. Concernant les clichés et les
rumeurs liés à la Mafia, Ellory nous sert la totale : Cosa Nostra, Omerta,
Familles, assassinat de Kennedy, de Marilyn Monroe, de Jimmy Hoffa. Le tout est
agrémenté d’une sorte de happy end sauce mafioso. Ce n’est pas d’une
originalité folle! Il faut attendre les 30 dernières pages pour que
l'action se lance vraiment.
Ma note : 3,5 / 5
Seul le silence |
JH (février 2012)
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Un roman d'Ellory n'est jamais banal, même si aucun des trois romans parus en français depuis Seul le silence (ci-dessus) n'a jamais retrouvé l'état de grâce de ce dernier. Les anges de New York revisite, mais avec profondeur et talent, tous les clichés du roman noir (voir à ce propos mon topo sur La recette du polar). Donc, Frank Parrish est un flic paumé, alcoolique, divorcé, en brouille avec son ex, en relation problématique avec ses grands enfants, en brouille avec sa hiérarchie, à moitié suspendu de ses fonctions et forcé de suivre une thérapie quotidienne avec une psy. Parallèlement, il doit mener, avec un nouveau coéquipier, une enquête concernant une série de meurtres d'adolescentes qui ont tous pour lien le bureau d'adoption du secteur sud de New York.
La trame narrative est un police procedural très classique. Le suspect principal et probable meurtrier est assez rapidement identifié, là n'est pas le mystère; toute la question est de le coincer et de recueillir sufffisamment de preuves contre lui. Et devant une enquête qui piétine et la perspective qu'un tueur en série s'en tire, Frank, malgré sa position professionnelle plus que précaire, est bien tenté de franchir la ligne et de prendre des raccourcis avec la justice. L'intrigue progresse donc à petits pas jusqu'à une finale particulièrement réussie.
Sur cette ossature assez conventionnelle, Ellory greffe la substance psychologique de son roman, c'est-à-dire l'exploration en profondeur de la détresse de ce flic, obsédé par l'héritage psychologique de son père (flic légendaire assassiné il y a longtemps et qui passe pour un héros, alors Frank sait que c'était un ripou), englué dans ses problèmes relationnels et son alcoolisme, bref au bord du gouffre. Tout ce qui le tient en vie, c'est cette révolte viscérale contre le mal et son sens du devoir, dût-il le payer très (trop) cher. Le contrepoint de la trame narrative est d'ailleurs constitué d'une série de rencontres et de dialogues avec sa psy, ce qui nous permet d'avoir une vision approfondie de sa psychologie complexe de flic qui n'a plus rien à perdre puisqu'il a pratiquement tout perdu. S'y greffe aussi une recherche documentaire un peu lourde sur les anges de New York, le département d'élite du NYPD auquel a appartenu le père de Frank et qui a purgé, du moins en surface, l'aéroport JFK de l'emprise de la mafia dans les années 1970.
Bien qu'il ne soit pas spécialement sympathique, on finit par s'attacher à Frank. Et c'est essentiellement dû au talent d'écrivain d'Ellory, qui ne se dément pas. Une écriture sombre et poignante, parfois traversée d'envolées lyriques, des dialogues parfaitement naturels, un sens très sûr du portrait.
On ne tombe pas en amour avec ce roman, dont la lecture est parfois exigeante à cause de sa lenteur, de ses redondances et de son souci du détail. Mais on reste accroché et comme la finale, sans être hollywoodienne, loin de là, est satisfaisante, on en garde un bon souvenir.
Ma note: 4/5 .
Seul le silence |