Nos valeurs sûres

Ian Rankin

MD (nov 08)

Sur ce site voir la critique de Fleshmarket Close


En un coup d'oeil

  • Naissance: 1960
  • Nationalité: Écossais
  • Premier roman publié: L'Étrangleur d'Édimbourg (1987)
  • Personnage vedette: Inspecteur Rébus
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: Édimbourg
  • Liste des romans traduits en français: ses romans sont habituellement traduits 4 ans après la parution anglaise : 14 des 17 Rébus sont actuellement traduits.
  • Genre(s) de prédilection: roman de procédure policière, voisin de la série noire américaine.
  • Meilleur(s) roman(s), selon nous:
  • Ordre de lecture à respecter: pas nécessairement.
  • Romans plus faibles à éviter: Cicatrices (2003, traduit en 2007, Ed du Masque), Fleshmarket Close (2004, traduit en 2008, Ed du Masque)
  • Prix: Grand prix de littérature policière en 2005 pour La mort dans l'âme.
  • Auteurs apparentés: Michael Connelly; Lawrence Block.

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À mon avis

Rankin a aussi écrit trois thrillers d'espionnage à saveur politique, qui le rapprochent un peu de Frederick Forsyth, sous le pseudonyme de Jack Harvey (nom de fille de sa femme). Contrairement à l'atmosphère relativement intimiste des Rébus, nous sommes propulsés avec vigueur aux quatre coins du monde. J'ai bien aimé Nom de code : Witch (2002) et Traqués (2007). Pas lu le 3e.

Dans les Rébus, c'est surtout dans sa tête que ça bouge. Et dans la ville grise d'Édimbourg, ville de Jekyll et Hyde, comme le souligne souvent Rankin, ville aux violents contrastes toujours sur fond grisâtre. « On s'y promène en manteau de fourrure, mais sans petite culotte! ». Rébus lui-même est caractérisé parfois par des intuitions brillantes et des lueurs d'espoir, mais surtout par une agressivité mal contrôlée, un cynisme désabusé et une solitude pesante pour ne pas avoir de comptes à rendre et pour ne pas blesser autrui. Quand on le rencontre pour la première fois, il est dans la jeune quarantaine (certains disent 41, d'autres 38 ans), et déjà il se stimule par la cigarette et la musique rock (c'est un fan des Rolling Stones) et se calme par le scotch whisky (accompagné d'une bière). Maintenant à presque 60 ans (il évolue dans le même temps que Rankin), il maintient son mode de vie et voit venir, avec soulagement et appréhension, l'âge de la retraite. Son épouse Rhona, puis sa maîtresse Patience l'ont laissé tomber parce que, les rares fois qu'il est avec elles, il a la tête ailleurs, explose en sautes d'humeurs ou s'enfonce dans la déprime. Il aime bien sa fille Samantha, mais ne la voit pas souvent, comme pour ne pas la polluer par son instabilité émotive. Par ailleurs, il a tendance à protéger sa jeune collègue à la police d'Édimbourg, Siobhan Clarke, qui l'aime bien, et que, par conséquent, il tient à distance. Ses supérieurs s'en méfient et n'hésitent pas à le suspendre de temps en temps. Comme ils ont besoin de lui, ils tentent de l'utiliser en le contenant, un peu comme on manipule comme une bombe.

Et pourtant, le lecteur aussi tient à lui. Même les habitants d'Édimbourg, qu'il ne ménage pas. Pour preuve, le Bureau touristique de la ville a organisé un Rebus walking tour avec guide professionnel, qui connaît beaucoup de succès; faut dire qu'on s'arrête à beaucoup de pubs! On l'aime peut-être parce qu'il nous fait penser à un bon pitbull, c'est-à-dire un pitbull qui est de notre bord et qui ne s'en prend qu'aux méchants. Le sens de la justice, ou la conception qu'il s'en fait, l'obsède et rien ne peut le distraire de son chemin quand il mène son enquête et traque sa proie, ni les influences politiques, ni les tracasseries administratives, ni les conseils avisés de ses collègues. Sa fougue le pousse parfois à commettre de lourdes erreurs mais, habituellement, il parvient à se racheter. Son cœur est plus gros que son cerveau, et ça aussi peut expliquer notre sympathie. Comme dit Rankin : « Rébus ne comprend pas toujours la situation d'ensemble et, parfois, quand il la comprend, c'est à cause de mauvaises raisons; ce que les gens aiment chez lui, ce sont les imperfections ».

Même si les personnages évoluent dans le temps, et depuis 87 Rankin écrit presque un Rébus par année, l'intrigue policière comme telle constitue la matière d'un livre. Si on n'accorde pas trop d'importance au développement de la dimension sentimentale (Rébus avec sa fille, son amie-amante, son ex, la jeune Siobhan, ses collègues de travail), on peut donc les lire dans l'ordre que le hasard détermine. On dit que, au début, ses histoires étaient assez simples, presque trop, et qu'elles se sont complexifiées, notamment par l'ajout d'une critique sociale. C'est possible; je ne l'ai pas remarqué parce que je n'ai pas respecté l'ordre chronologique et que la critique sociale d'un individu mal dans sa peau n'a pas un impact convaincant. Ce qui me semble certain, c'est que certains romans sont écrits rapidement.

Je n'aime pas beaucoup habituellement le polar noir américain, sauf Connelly et parfois Block, deux auteurs que Rankin estime beaucoup. Or, c'est certain que Rébus fait penser au Bosch de Connelly. Deux êtres profondément tourmentés, toujours sur la corde raide, à deux pas du suicide, de la folie ou de la criminalité. Dans le cas de Rébus, son enfance n'a pas été des plus joyeuses (son frère, Michael, trempe d'ailleurs dans des affaires louches); et un stage dans le Special Air Service (SAS) lui a inculqué un tenace sentiment de culpabilité. En 20 ans, il est passé d'Inspecteur adjoint à Inspecteur, et il est arrivé que Londres ait recours à lui. Mais ses succès le laissent indifférent, une fois que le cas est réglé, et son entourage professionnel se méfie toujours de ses méthodes. Même le gros Cafferty, chef de la pègre d'Édimbourg, avec qui il doit se frotter de temps en temps, ne lui confierait pas un penny, pas parce que c'est un flic mais parce que c'est Rébus. D'où cette immense solitude où il se morfond inéluctablement. Comme ces héros grecs frappés d'un destin impitoyable, dans ce cas-ci je pense à Sisyphe, sauf qu'on ne peut pas imaginer Rébus heureux. 

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