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Lee Child

JH (nov 08)

Voir aussi les comptes rendus détaillés de Sans douceur excessive et de Elle savait.


En un coup d'oeil

  • Naissance: 1954
  • Nationalité: britannique, mais vit à New York.
  • Premier roman publié: The Killing Floor (1997)
  • Personnage vedette: Jack Reacher, ancien policier militaire et sans emploi.
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: divers villages et routes de la campagne américaine.
  • Liste des romans traduits en français: voir ci-dessous.
  • Genre(s) de prédilection: roman noir, suspense, road novel
  • Ordre de lecture à respecter: aucun

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À mon avis

La carrière littéraire de Lee Child, le plus américain des auteurs de polars britanniques, se confond avec le héros qu'il a créé et autour duquel il a écrit à ce jour 12 romans: Jack Reacher. Ce personnage fascinant est d'ailleurs le principal intérêt des romans de Child, dont les intrigues sont par ailleurs assez classiques.

Reacher a fait carrière pendant douze ans comme policier militaire chez les Marines, mais on n'en saura guère plus. Il y a récolté blessures, décorations et mauvais souvenirs, mais un jour, il a décidé de décrocher et de ne plus jamais s'atacher à rien dans la vie. C'est là qu'il fait son entrée dans la série des romans de Child.

Même s'il a encaissé sa retraite et dispose de confortables économies, Reacher fait dans la simplicité volontaire. Pas de domicile fixe, aucune autre possession matérielle que ce qu'il peut transporter avec lui, il voyage sans but à travers les États-Unis, souvent à pied, en auto-stop ou à la rigueur en autobus. Pas de valises: quand les habits qu'il porte sont sales, il les jette à la poubelle et en achète de nouveaux à la friperie du coin. C'est un Survenant moderne, toujours de passage, sans attache nulle part, mais avec la liberté totale du solitaire. Les romans de Child tiennent donc beaucoup des road movies, souvent situés dans des recoins obscurs du Texas ou de l'Idaho ou des petits villages agricoles du Midwest profond. Il accepte souvent de petites jobines, souvent manuelles; il n'a pas besoin d'argent (son compte de banque est bien pourvu et est toujours là quand il en a besoin), mais c'est pour lui une occasion de se fixer quelques semaines, le temps de baiser la jolie femme du coin et de s'attirer de nouveaux emmerdements.

Solitaire et taciturne, revenu de tout, il ne souhaite qu'une chose: qu'on lui foute la paix. Hélas, à chaque roman, les ennuis lui tombent toujours dessus malgré lui, et c'est, bien sûr, le point de départ d'une nouvelle aventure.

Reacher est un colosse (6 pieds 5, 250 livres) et a de redoutables habiletés de bagarreur. Si on lui cherche noise, trois malfrats armés de couteaux ne l'inquiètent nullement, et il en vient habituellement à bout avant qu'ils n'aient eu le temps de réaliser ce qui leur tombait dessus. Son passé de militaire lui donne de nombreuses connaissances techniques en matière d'armes, d'explosifs, de technologies et d'indices matériels, qu'il met à profit lorsque nécessaire. Il est sans doute cultivé (il lui arrive de citer les stoïciens!), mais n'en fait pas étalage. Pas d'amis, pas de famille, ni femme ni enfants. Résolument hétérosexuel (il fait une conquête à chaque roman), mais toujours pour une brève liaison de passage, sans durée ni amour ni engagement. Cela n'en fait pas un chaud lapin ou un coureur de jupons pour autant. Ses rencontres avec les femmes sont toujours étonnantes de respect et de tendresse et contrastent avec son extérieur bourru. C'est une proximité vécue intégralement dans l'instant présent, mais amicale.

Les ennuis de Reacher lui viennent du fait qu'il n'a peur de rien ni personne. S'il ne demande qu'à boire sa bière tranquille, il ne refuse aucune forme de défi ou de provocation et il fait front. En fait, la meilleure façon de le fixer quelque part pour un certain temps, c'est de lui dire de décamper, menace à l'appui. C'est aussi un défenseur, tranquille mais tenace jusqu'à l'entêtement, de la veuve et de l'orphelin: il s'investit entièrement s'il s'agit de réparer une injustice ou de mettre au pas de petits caïds locaux. Et quand il plonge dans les ennuis, c'est jusqu'au cou: successivement victime de kidnapping, accusé plusieurs fois de meurtre, mis au ban d'un village entier, menacé de mort, il ne cède jamais et prépare, selon les cas, sa défense, sa vengeance ou sa contre-attaque avec une planification minutieuse, aidé en cela par une mémoire phénoménale.

L'écriture de Child est sèche et froide à l'extrême, en phrases très courtes rappelant de façon frappante celle de L'étranger de Camus. Aucun état d'âme n'est décrit, même si on soupçonne Reacher d'avoir des valeurs humanistes et des sensibilités blessées. Mais il faut les décoder et les deviner à travers une narration dépouillée centrée sur les faits. Une des phrases fétiches de Child, dans des dialogues pourtant, c'est Reacher said nothing. Technique pour amener l'interlocuteur à poursuivre ou pour refuser de répondre à une question sur lui-même ou sur ses intentions, mais aussi illustration d'une frugalité extrême qui s'applique même aux mots.

Child est un bon concocteur d'intrigues, mais celles-ci n'ont pas la complexité et la fertilité en rebondissements d'un Deaver, par exemple. Son talent, c'est sa fidélité à ce personnage hors normes, fascinant et attachant, fidélité qui assure une grande constance dans la qualité de ses romans. Si vous avez aimé un de ses romans, vous aimerez nécessairement tous les autres. Et l'inverse est également vrai. Personnellement, vous l'aurez compris, j'entre dans la première catégorie.

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