Nos 5 étoiles

Henning Mankell

MD (nov 08)

Note: voir aussi mon compte rendu (2011) du dernier roman de Mankell: L'homme inquiet.


En un coup d'oeil

  • Naissance: 1948.
  • Nationalité: suédoise.
  • Autre occupation : directeur de théâtre (Mozambique).
  • Premier roman publié: Meurtriers sans visage, 1991, traduit en 1994.
  • Personnage vedette: Kurt Wallander.
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: Ystad, en Scanie, province du sud de la Suède.
  • Liste des romans traduits en français: 10 des 11 Wallander sont actuellement traduits (Seuil).
  • Genre(s) de prédilection: .procédure policière.
  • Meilleur(s) roman(s), selon nous: La muraille invisible (très subjectif, mais j'ai eu l'impression que Wallander prenait un coup de jeune en travaillant avec un habile hacker).
  • Ordre de lecture à respecter: .Garder pour la fin Le retour du professeur de danse (2000) et Avant le gel (2002), parce qu'un nouveau personnage important intervient (Stefan Lindman) et que Linda, la fille de Wallander, prend du poil de la bête. Par ailleurs, La pyramide (1999), qui n'est pas encore traduit, comprend cinq nouvelles qui retracent l'itinéraire de Wallander de 1969 (il a 21 ans) à 1990.
  • Particularités d'édition : Les romans ne sont pas traduits dans l'ordre chronologique; consultez l'article très clair de Wikipédia.
  • Auteurs apparentés: Sjöwall et Wahlöö (la série des Martin Beck, de 1965 à 1975), Ake Edwardson.

Liens externes


À mon avis

Au cours des années 70, j'avais eu beaucoup de plaisir à lire la série des Martin Beck des auteurs suédois Maj Sjöwall et Peter Wahlöö. J'avais été, cependant, assez surpris de constater que cette société suédoise si idéalisée, malgré elle, dirait Mankell, ressemblait à la nôtre. Pendant une quinzaine d'années, le contact fut coupé. Puis, au milieu des années 90, les romans de Mankell commencèrent à circuler. La comparaison s'imposa de nouveau, surtout eu égard aux faiblesses de la société suédoise et de la nôtre : criminalité croissante, individualisme forcené, espaces verts transformés en condos luxueux, système de santé douteux, écart entre les riches et les pauvres, enfants et adolescents laissés à eux-mêmes, xénophobie... Mankell est d'autant plus frappé par cette désagrégation du rêve suédois que, comme il vit six mois par année au Mozambique depuis les années 85, il perçoit plus facilement, comme de l'extérieur, l'évolution de sa société d'origine. C'est ce regard étonné, puis désabusé parce qu'en grande partie impuissant, qui caractérise son inspecteur de police Kurt Wallander. Malgré des incursions en Afrique ou en Lettonie, les romans de Mankell ne sont donc pas dépaysants.

Ses romans policiers ne sont pas pour autant des prêchi-prêcha. Son engagement social se manifeste plus explicitement au Mozambique, à Maputo, où il dirige le Théâtre Avenida, pour lequel il compose des pièces et réalise des mises en scène. Il écrit aussi de la littérature pour enfants; pour lui, l'apprentissage de la lecture est une tâche formatrice indispensable. Même quand il s'agit des romans policiers, il se définit comme un auteur engagé, au sens où la littérature policière, comme Médée ou Macbeth (ce sont ses exemples), joue un rôle de miroir pour la société où elle se développe. Sans que l'auteur ait besoin d'y insister directement sauf, peut-être, dans La lionne blanche (publié en 1993, un an avant les premières élections multiraciales en Afrique du Sud), où une société secrète d'Afrikaners semble s'enraciner dans le AWB, parti fasciste créé au début des années 70. Autrement, entre une énigme saisissante (des vieillards bien tranquilles torturés et exécutés, une mère de famille sans histoire retrouvée morte dont un doigt a été coupé, l'immolation par le feu d'une adolescente…) et une conclusion souvent brutale, nous retrouvons le travail patient habituel du policier et de ses collègues : fréquentes réunions pour la mise en commun des informations, élaboration des hypothèses, remises en question, répartition des tâches, tout cela accompli avec un certain souci de respect mutuel malgré les sautes d'humeur et les déprimes occasionnelles de Wallander et que, en dernière instance, c'est lui qui décide.

La série d'émissions produites par la télévision suédoise a entraîné, ici comme en Suède, une première réaction de déception : Wallander y apparaissait vraiment comme un bonhomme bien ordinaire, handicapé par sa condition physique et ses rapports sociaux perturbés (avec sa fille, son ex, sa nouvelle avec qui il agit comme un ado mal aimé), bref un véritable anti-héros, ce que les lecteurs inattentifs avaient peut-être moins remarqué. Solitaire aussi : même une amitié avec le compétent Nyberg semble impossible malgré ce qui les rattache, parfois par négligence, parfois par pudeur; même plus d'opéra, même plus le temps d'écouter son ténor préféré, Jussi Björling. Mais, on s'y fait. Peut-être parce nous aussi nous nous sentons démunis devant la force des choses, et que nous avons perdu les illusions de nos vingt ans, qui coïncidaient avec une période historique (les années 60-70) où il était facile de croire que tout était possible. Et que, comme lui, nous ne renonçons pas à une certaine dignité, malgré nos maladresses, nos lâchetés et nos injustices. Il lui arrive d'ailleurs d'y déroger, gagnant ainsi en réalisme ce qu'il perd en noblesse. Enfin : nostalgique ou mélancolique? Mankell se défend du reproche de mélancolique (son beau-père, le cinéaste Ingmar Bergman, se disait, en riant, responsable de la mélancolie européenne), mais ce qualificatif semble convenir à Wallander, surtout interprété par l'excellent acteur suédois Krister Henriksson. Peut-être que la version prochaine de la BBC, avec Kenneth Branagh, colorera autrement le personnage.

De 91 à 98, Mankell a publié un Wallander par année. En 99, ce fut La pyramide, où Mankell se plaît à imaginer comment Wallander évolua depuis la fin des années 60. En 2000, c'est Lindman qui mène l'enquête; en 2002, c'est Linda, la fille de Wallander, qui prend la relève. Depuis, Mankell continue à écrire, mais pas de Wallander. A-t-il pris sa retraite? S'est-il réfugié en Lettonie à la recherche de ses anciennes amours? Congé maladie, peut-être?! Comme ce n'est pas l'encore plus déprimant Winter d'Ake Edwardson qui peut prendre sa place, on ne peut que souhaiter la résurrection de Kurt Wallander.

Haut de la page