Le club des polarophiles québécois

L'homme inquiet (de Henning Mankell)

MD (janvier 2011)


En un coup d'oeil

  • Date de l'édition française: 2010 (E. de Noyelles/Seuil, 552p)
  • Genre: procédure policière.
  • Mots-clés: disparition, espionnage.
  • Personnage principal: Kurt Wallander, commissaire de police à Ystadt.
  • Résumé et commentaire: ici
  • Voir aussi mon entrée 5-étoiles sur Henning Mankell.

À mon avis

Mankell avait annoncé depuis longtemps qu'il abandonnait la série du commissaire Kurt Wallander; ses deux derniers polars mettaient d'ailleurs plutôt en vedette Linda Wallander, la fille de Kurt. D'où l'agréable surprise d'en voir surgir un nouveau, L'Homme inquiet, mais la triste certitude de savoir maintenant que c'est vraiment le dernier. Je ne révélerai évidemment pas le finale, mais qu'on se rassure : le dénouement est acceptable même pour les plus épris de ce bonhomme malcommode, bougon, antisocial, dont la solitude le rend justement si attachant. Qu'il soit suffisant de dire que ce n'est pas la mort qui met platement un terme à sa carrière. Mais c'est une issue dont on revient plus difficilement que des chutes de Reichenbach (cf. Conan Doyle : The Final Problem).

Un premier suspense traverse donc, en filigrane, toute l'histoire : qu'est-ce qui va arriver à Wallander et qui rendra sa résurrection impensable? Puis, l'intrigue proprement dite de cet ultime roman policier : comment expliquer la disparition de ce couple âgé apparemment sans histoire, Hakan von Enke, ex-commandant de sous-marin, et son épouse Louise, ex-traductrice allemand/suédois? La police suédoise de Stockholm est officiellement responsable de cette enquête mais, comme il s'agit des beaux-parents de Linda, qui a eu une fille de leur fils Hans, Wallander ne peut pas se contenter de continuer à jouer avec son chien à la maison de campagne qu'il vient de s'acheter. Alors commence cette longue odyssée vers la compréhension de ce qui semble n'avoir aucun sens a priori. Car, si le début est moins spectaculaire que celui de plusieurs autres de ses romans, l'intrigue n'en est pas moins mystérieuse. Dans sa quête de vérité, Wallander, plus seul que jamais parce que son travail dans cette affaire n'est pas officiel, fait appel occasionnellement à plusieurs vieilles connaissances qu'on a déjà rencontrées dans ses aventures antérieures, ou établit des rapports avec des situations qu'il a déjà vécues. De même, dans sa vie personnelle, il retrouve des êtres qui ont beaucoup compté pour lui. Comme la réalité nous apparaît le plus souvent à travers ses yeux et ses réflexions, nous partageons une récapitulation synthétique des points forts de son existence. Nous ne sombrons cependant pas dans une morose nostalgie, à cause de sa petite-fille Klara qui semble enfin donner un sens à ses vieux jours

Le problème de la double disparition n'est pas pour autant relégué au second plan. Mais Wallander ne paraît pas pressé, songe souvent à laisser agir la police officielle, et l'affaire est complexe en elle-même. Nous avons droit à plusieurs histoires dans l'histoire, et c'est une des forces de Mankell : il sait raconter des histoires. Sans qu'il s'agisse d'un roman historique, nous plongeons un bon moment dans la guerre froide des années 60-80, particulièrement dans les relations entre les États-Unis, l'URSS et la Suède. Même l'assassinat du Premier ministre Olaf Palme est recadré dans un contexte précis. Ça reste une toile de fond, mais pas mal développée.

Mankell sait aussi récompenser notre patience par de petites récompenses : petites découvertes, petits bouts de vérité; on sent qu'on va bientôt atteindre le but. Et il compose ces histoires avec intelligence, bien sûr, mais surtout avec sensibilité : la complexité de Wallander nous apparaît à travers sa relation avec sa fille (et les jeunes), son père défunt, les von Enke et leurs amis (les vieux), sa petite Klara (les bébés qui l'ouvrent au monde), son chien Jussi (enfin un être qui l'aime inconditionnellement). Cet aspect n'était pas absent des ouvrages précédents, mais on a l'impression que c'est ici plus développé, d'autant plus que les découvertes relatives au problème de la double disparition s'effectuent par le biais d'heureux hasards, qualifiés par Wallander d'intuitions, plutôt que par un pur processus de déduction logique; et que le dénouement échappe en bonne partie à sa volonté. On le remarque plus dans ce roman, peut-être parce que nous accordons nous-mêmes plus d'importance au destin de Wallander qu'à celui du couple von Enke.
J'ai lu ce roman en trois jours : plus grand chose ne comptait dans le monde. Ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. C'est pour moi le signe incontestable d'une œuvre marquante. Selon mes critères habituels, je décernerais peut-être un 4.5, mais pour un roman- synthèse qui boucle la boucle avec autant de pertinence et d'élégance, cela vaut un 5.

Ma note: 5/5