JH (nov 08)
Note: voir aussi, sur ce site, les comptes rendus des romans Le poète , Le verdict du plomb, L'épouvantail , Les neuf Dragons et Volte-face , ainsi que de ses deux derniers romans non encore traduits: The Fifth Witness et The Drop.
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La plupart de ses romans - mais pas tous - mettent en scène son détective fétiche Harry Bosch, personnage éminemment complexe. Enfance perturbée (sa mère était une prostituée, qu'il n'a pas connue), ancien du Vietnam où il a été rat de tunnel, il fait ensuite l'essentiel de sa carrière, avec des hauts et des bas sur le plan administratif, au LAPD. Ses réussites policières se paient par une vie personnelle déprimante et solitaire, parsemée d'histoires sentimentales compliquées et malheureuses avec des femmes qu'il aime à sa manière, mais avec lesquelles il est incapable de maintenir un lien stable. Sa fréquentation professionnelle des aspects les plus noirs de l'âme humaine déteint sur sa personnalité et le pousse vers un alcoolisme contenu et vers une humeur dépressive et taciturne. Mais, sous des dehors cyniques, c'est un idéaliste déçu et blessé qui, même dans le désespoir et même tenté par la violence, conserve un sens moral inaliénable et se fait un devoir de fidélité aux victimes à qui il s'efforce de rendre justice en épinglant leur prédateur.
Pas d'humour, peu de moments de sérénité, une grande solitude, une ambiance sombre dans une Los Angeles pourrie, l'impression que chaque enquête est une dérisoire entreprise de justice et un verre d'eau dans la mer, mais qu'il est nécessaire de faire par simple souci moral, voilà l'univers de Connelly.
L'écriture est froide, sèche, dans la meilleure tradition du roman américain, avec des dialogues qui sonnent toujours juste parce qu'ils ne cherchent pas à être brillants et à faire de l'esbroufe. L'auteur n'explique pas la psychologie des personnages par des analyses ou des monologues intérieurs: il laisse parler les faits, rapportés avec une objectivité quasi-journalistique (ce fut d'ailleurs le premier métier de Connelly, qui lui valut notamment un prix Pulitzer de journalisme).
Sur le plan de l'intrigue policière, chaque histoire est indépendante, minutieusement ficelée et correctement résolue, avec un dosage bien équilibré d'enquêtes sur le terrain, de médecine légale, d'intuition et de déduction policière. L'expérience de journaliste d'enquêtes criminelles de Connelly explique sa parfaite maîtrise des procédures et techniques de la police, qui sont mises au service de l'enquête sans l'étalage didactique que l'on retrouve chez d'autres auteurs. Connelly peut se permettre d'épargner au lecteur l'étalage de sa recherche: il connaît la chose de l'intérieur!
Connelly écrit à plusieurs niveaux. Pour chaque roman pris isolément, c'est l'enquête qui forme la substance romanesque, sans digressions descriptives ou psychologiques. Mais quand on envisage l'évolution de Harry Bosch à travers tous les romans où il apparaît, c'est comme s'il s'agissait d'un autre roman, à un second degré. On y voit l'évolution en dents de scie de sa carrière mais aussi celle de ses efforts pour survivre psychologiquement avec le poids de son passé et avec ses limites personnelles. Ses rapports complexes avec Eleanor Wish (son ex-femme et mère de son enfant) et les diverses femmes qui traversent sa vie (dont Rachel Walling, un autre personnage récurrent de Connelly) auraient pu faire un excellent roman psychologique à eux tout seuls. De même les réflexions à caractère social sur la société urbaine, la violence, le sens des valeurs, la solidarité et l'amitié. Mais Connelly les distille à petites doses, en les intégrant parfaitement à une intrigue qu'il ne ralentit jamais pour faire de longs discours.
Si vous avez l'intention de lire plusieurs romans de Connelly, il vaut donc mieux les lire dans l'ordre chronologique, même si chaque histoire est close sur elle-même, précisément pour apprécier l'évolution de ces seconds degrés qui constituent la richesse romanesque de cet auteur. Même si le cadre physique et psychologique est toujours le même, Connelly ne se contente pas, contrairement à beaucoup d'autres auteurs à succès, de reprendre la même recette en changeant simplement l'histoire et les personnages. Son oeuvre est à envisager dans son ensemble, car elle possède une rare cohérence.
Il pousse même la coquetterie jusqu'à faire réapparaître et se rencontrer dans des oeuvres ultérieures des héros récurrents qui avaient été introduits dans d'autres contextes. Ainsi, son second personnage fétiche, Terry McCaleb. apparaît dans Créance de sang, d'où Bosch est totalement absent. Mais ils se rencontrent et mènent des enquêtes complémentaires dans L'oiseau des ténèbres. Los Angeles River culmine dans ce souci d'attacher les ficelles: c'est une enquête de Bosch, mais c'est McCaleb qui en est la cause et on y retrouve aussi des personnages du Poète (notamment Rachel Walling), roman d'où Bosch aussi bien que McCaleb étaient absents, puisque c'est le journaliste Jack McEvoy qui en était la vedette. Tout comme il fait se croiser, dans Le verdict du plomb, Bosch et son demi-frère l'avocat Mickey Haller, introduit en solo dans La défense Lincoln. McEvoy, quant à lui, revient après 13 ans d'absence dans L'épouvantail.
Un auteur de tout premier plan, à lire sans modération!
Note: voir aussi, sur ce site, les comptes rendus des romans Le poète , Le verdict du plomb et L'épouvantail ainsi que de ses trois derniers romans non encore traduits: 9 Dragons, The Reversal et The Fifth Witness.