Le club des polarophiles québécois

En vrac


Voici, en ordre alphabétique de nom de famille, une liste d'auteurs contemporains connus que nous avons lus ou du moins abordés et qui nous laissent, selon le cas, d'assez bons ou de moins bons souvenirs, mais sur lesquels nous ne ferons pas une fiche détaillée et que nous ne nous avancerons pas à vous recommander inconditionnellement.

(Sauf exception, les liens renvoient tous sur le site officiel de l'auteur)


Lawrence Block (1938- )

Si vous vous ennuyez du roman noir américain de la belle époque, il a survécu chez Block, particulièrement dans sa quinzaine de romans mettant en vedette le détective privé Matt Scudder, dépressif, alcoolique (mais il se soigne!) et tenace, opérant de préférence dans les bas-fonds de New York. Si on aime le genre, c'est un auteur solide, aux personnages bien étoffés, à l'écriture plaisante et qui sait bâtir et maintenir un suspense. Vaut certainement un détour ... et plus, si affinités! (JH)


Sandra Brown (1948- )

Elle a commencé sa carrière comme auteure de romance, romans de chick lit sans grand intérêt. Mais elle a également produit plusieurs excellents romans de suspense et thrillers, qui vont du polar judiciaire (L'alibi impossible) au thriller politique (Confession exclusive) en passant par le thriller conventionnel (Le coeur de l'autre). Les intrigues sont solides et bien imaginées et la narration coule de source et sans temps morts. Et si Brown conserve toujours une place significative à la dimension amoureuse, cela demeure du romantic suspense de qualité. Pour faire la différence entre ses suspenses solides et ses romance à la guimauve, voir le site Polars au féminin et, sur leur page d'accueil, dérouler le menu en haut à gauche jusqu'à Sandra Brown. Les huit romans traduits en français qui y sont répertoriés sont de bonne facture et peuvent être lus avec intérêt. Si vous lisez l'anglais, son Standoff - non traduit, malheureusement - est pour moi le roman de référence sur la prise d'otages. (JH)


Mary Higgins Clark (1927- )

Au début de sa carrière, elle a constitué une voix neuve dans le polar et ses tout premiers romans sont solides. Mais, l'immense succès commercial aidant, elle s'est figée dans une recette qui n'a pas été renouvelée depuis trop longtemps: héroïne stéréotypée, jeune professionnelle entraînée dans une histoire affolante et qui échappe de justesse à la mort dans les dernières pages. Clark a un bon sens de l'intrigue, mais la qualité d'écriture ne suit pas et ses personnages sont trop caricaturaux pour convaincre encore. (JH)


Patricia Cornwell (1956- )

Ce fut une belle histoire d'amour pendant une dizaine d'années. En 1990, Postmortem surgit comme une fusée au milieu de nulle part et se mérite le fameux Prix Edgar Poe du premier roman. Forte de son expérience de journaliste des affaires criminelles et surtout de son travail comme informaticienne à l'Institut médico-légal de Richmond, Cornwell crée le personnage de Kay Scarpetta, médecin légiste experte de l'État de Virginie et enquêteur acharnée, qui manie la scie à découper le crâne comme d'autres la fourchette et qui lit dans les tissus du corps ce que d'autres cherchent dans le marc de café. Autoritaire, un peu pincée mais rigoureuse, c'est le genre de personne à admirer plutôt qu'à aimer.

Jusqu'en 2000, Cornwell produit un Scarpetta par année. Les intrigues sont originales, les processus d'investigation subtils, non dépourvus de muscles quand le lieutenant Marino s'en mêle, le développement en crescendo convaincant, et les résolutions satisfaisantes. Sans être des polars noirs à proprement parler, la tension qui nous gagne est irrésistible : je pense surtout à la chasse hallucinante du sadique impitoyable Temple Gault dans les racoins du métro new yorkais, qui nous hante pendant deux romans (La Séquence des corps, 1994, et Une mort sans nom, l'année suivante), et nous obsède longtemps après. Le duo improbable que constituent le vulgaire macho Marino et la très professionnelle et hautaine Scarpetta est parfois émouvant (après tout, il lui sauve la vie), parfois amusant, toujours efficace.

Pour renouveler ses histoires, Cornwell introduit l'agent spécial et mystérieux Benton Wesley en 94, avec qui elle entretient un rapport amoureux mal défini, et surtout, en 96 (Morts en eaux troubles), sa nièce Lucy, formée au FBI, spécialiste en informatique, homosexuelle, ce qui est ici pertinent car ça renouvelle la perception qu'on avait déjà des principaux personnages : particulièrement Marino, toujours épris au fond de Scarpetta, qui prend Lucy sous son aile protectrice, un peu comme si elle était son fils. Ça permet aussi d'introduire un nouveau genre de problèmes : la psychopathe Carrie Gretchen, ex-amante de Lucy, ennemie de Scarpetta depuis La Séquence des corps, qui parviendra à s'évader d'un hopital psychiatrique et qui cherchera à détruire Lucy pour atteindre Scarpetta (Combustion, 1998). Comme Lucy est très attachante, la dimension suspense vient s'ajouter au thriller habituel : les poursuivants deviennent poursuivis.

Entre 96 et 2001, Cornwell inaugure une nouvelle série policière avec le chef de police Judy Hammer, la policière Virginia West et le journaliste devenu policier Andy Brazil. Puis, en 2003, paraît son interprétation discutée de Jack l'Éventreur. Probablement qu'elle désire un peu changer d'air, ce qu'on ne peut pas lui reprocher. Mais les Scarpetta en pâtissent : Benton Wesley meurt et ressuscite, Marino se désagrège, le caractère de Scarpetta la rend très désagréable. Avec Baton rouge (2003), je décroche. J'ai essayé, en vain, de retrouver mon plaisir des années 90 avec Le Registre des morts (2007) : le contexte est invraisemblable, l'intrigue tarabiscotée, les dialogues bâclés, la relation entre Scarpetta et Wesley de plus en plus infantile, Marino est devenu une épave, et tous les personnages sont continuellement en colère, comme pour donner du relief à la platitude de l'ensemble.

Peut-être que nous avons mal vieilli, elle et moi. (MD)

Bio-bibliographie sur Wikipédia ou sur À l'ombre du polar.

Voir aussi mon compte rendu du dernier Cornwell: Havre des morts.


Robert Crais (1954- )

Vous avez lu tous les Connelly et vous n'en pouvez plus d'attendre le suivant? Alors vous trouverez le temps moins long avec les romans de son copain Robert Crais. On y retrouve la même Los Angeles, le même souci d'injecter un peu de justice et d'humanité dans un univers noir, la même fragilité intérieure des personnages. Mais les héros de Crais ne sont pas des policiers du LAPD, même s'ils y ont fait un tour. Ce sont des détectives privés, dans la pure tradition du roman noir: Elvis Cole, dont le charme cache une psychologie complexe et Joe Pike, un colosse taciturne redoutable dans les jobs de bras. Un excellent dossier en français, présentant les personnages ainsi que les résumés de ses romans, se trouve ici. Voir aussi un site français de fan tout entier consacré à cet auteur. (JH)


Michael Crichton (1942-2008)

A l'occasion du décès de Michael Crichton, je voudrais lui exprimer ma reconnaissance pour les heures de divertissement qu'il m'a procurées, parfois par les livres, parfois par les films qu'il a réalisés ou dont il a écrit le scénario. D'autres le connaissent par la série télévisée ER (Urgences), dont il a créé le concept et réalisé les premières émissions; les plus jeunes par le jeu vidéo Amazon, produit en 84. Son année de gloire fut probablement 1994 où il se retrouva au premier rang des séries télévisées (ER), des scénarios de film (Le Parc jurassique, co-écrit avec Spielberg), et des meilleurs romans édités en livre de poche (Disclosure/Harcèlement).

Je suis entré dans son univers techno-thriller par le très bon film (1971) que Robert Wise avait adapté de son roman La Variété Andromède (1969). Puis, ce fut Coma (à partir d'un texte de R. Cook), Le Parc jurassique (93) comme tout le monde, Soleil levant (93), Harcèlement (94) et, avec un moins vif intérêt, Congo (95) et Sphère (98). Contrairement à ce que pourrait laisser croire la polémique autour de État d'urgence, 2005 (State of fear, 2004), alors qu'on lui a reproché de sous-estimer les dangers reliés au réchauffement de la planète, ses romans dénoncent habituellement les usages technologiques que font des sciences des institutions peu soumises à des contrôles : laboratoires et centres de recherches, armées, riches compagnies, grandes puissances. La dimension scientifique, surtout en biologie puisqu'il était diplômé en médecine, est habituellement crédible; ses aperçus prospectivistes ont la réputation d'être bien fondés, sauf dans le cas mentionné où ses opinions et les politiques de Bush faisaient sans doute trop bon ménage. Parmi les quelques romans que j'ai lus, je suggère d'essayer Turbulences (Air Frame, 1996) et Prisonniers du temps (Timeline, 1999, 2000 en français). Dans les deux cas, le début est accrocheur et promet un bon moment. (MD - nov 08)

Pour le site indépassable de Michael Crichton, incluant un excellent interview de Charlie Rose. cliquez sur son nom ci-dessus. Pour des tableaux synthétiques et des informations de base sur l'auteur, Wikipedia (en anglais).

Next (c'est le titre français! - 2007), vaut également un détour. (JH)


Martha Grimes (1931- )

Il me semble que je dois en dire un mot, mais ce n'est pas facile. Un roman de Grimes, pour moi, c'est un peu comme un joueur sur le quatrième trio du Canadien : on ne s'attend pas à une grosse production de buts, mais il nous fait parfois gagner une partie.

Martha Grimes est née à Pittsburgh en 1931. Après avoir été professeur de langue anglaise, ses activités de romancière lui ont assuré une certaine indépendance. Voir Wikipédia pour sa bio-bibliographie.

On la connaît surtout pour la série de plus de vingt romans (depuis 1981) qui met en scène l'Inspecteur du Yard Richard Jury et son ami, l'aristocrate malgré lui, Melrose Plant. La plupart des histoires se passent en Angleterre et les titres portent le nom d'un pub, clin d'œil qui convient parfaitement au genre de romans. Le talent de Grimes fut rapidement reconnu par le Prix Nero Wolfe qui lui fut accordé en 1983 pour Le Collier miraculeux. J'ai lu sept ou huit de ses romans, le dernier étant Le Sang des innocents (2004), bien faits dans l'ensemble, plaisants, sympathiques, reposants, réconfortants même, qualificatifs, reconnaissons-le, qu'on n'applique pas souvent à des polars. Pourtant, ce sont bien des polars, avec au moins un crime, une victime, un enquêteur, un contexte, un mobile et un coupable. Quelle est donc l'origine de mes hésitations, pour ne pas dire mes réticences?

C'est vraiment une question de genre : à côté des suspenses et des multiples formes de thrillers, à l'opposé des romans noirs de plus en plus foncés, et dans le sillage des romans à énigmes renouvelés, s'est développé le genre des cozy mysteries. Dans ces romans, le premier crime (il y en a généralement deux) est commis avant le début de l'histoire ou dans les coulisses. On nous épargne le sang et la violence. La victime est peu connue ou plutôt antipathique. Sa mort, ou sa disparition, pose problème; les circonstances sont incompréhensibles. D'où la nécessité d'une enquête menée le plus souvent par un non professionnel : journaliste, libraire, écrivain. Une personne appréciée dans son milieu, souvent une femme d'expérience qui comprend la nature humaine, capable d'écouter et de participer aux papotages, digne de confiance, observatrice et intelligente. Le lecteur l'aime bien et peut aisément s'identifier à elle. Qu'on pense à l'astucieuse Jessica Fletcher qui nous a offert des heures de détente à la télé dans Elle écrit au meurtre, grâce en partie à la grande dame qu'est Angela Lansbury. Chez Grimes, l'Inspecteur Jury mène, en principe, la danse, mais c'est souvent l'excentrique Melrose Plant qui oriente le policier. L'espace est, en général, restreint : un village, une famille, un manoir, une maison de chambres, peu de personnages. Les gens se connaissent. Pour l'enquêteur, pas besoin de labo hi-tech; c'est dans les relations entre ces personnes que réside la clé de l'affaire. Tout le monde peut d'ailleurs comprendre les mobiles du crime : cupidité, jalousie, vengeance. Très souvent l'assassin n'est pas un affreux; il était peut-être soumis à un chantage; il agit parfois par compassion; ou pour protéger ses petits-enfants; ou victime d'une implacable fatalité à la grecque. La communauté est ébranlée par la résolution du problème et le dévoilement du criminel mais, bientôt, l'ordre et le calme sont restaurés. La vie suit son cours.

Il ne s'agit pas de romances à proprement parler, ou d'arlequinades, parce que, même si on nous évite les scènes de sexe explicites, et qu'une idylle se noue parfois entre le détective et une jeune personne, cet aspect passe nettement au second plan au profit du déroulement de l'enquête. Jury apprécie l'échancrure d'un décolleté (il en rougit) ou l'ambiguïté d'un serrement de mains, mais on en reste là. Puis, comme l'enquêteur est souvent une femme d'un certain âge, nous observons le plus souvent, mais de loin et comme en filigrane, le développement d'une vieille et solide amitié entre elle et un vieux médecin à la retraite, un ex-policier débrouillard qui écrit ses mémoires, un homme d'Église qui en a vu d'autres... Pour la même raison, c'est moins banal que la chick lit : d'abord, comme le personnage principal est le plus souvent une femme, et que triomphe le principe brains over brawn, l'agilité d'esprit plutôt que la force des muscles, c'est souvent un homme dans l'embarras qui est secouru par une femme. Puis, le roman s'adresse moins à une jeune fille en fleurs qu'à un public averti. Enfin, ces lecteurs aiment les énigmes, les puzzles; ils traquent les indices en cherchant à éviter les fausses pistes que s'amuse à créer l'auteur. Ils aiment le défi qu'on leur propose. D'où le rapprochement entre ce genre de romans et les grandes énigmes d'Ellery Queen, d'Agatha Christie, de Dickson Carr et de Dorothy Sayers. C'est comme le bridge du mardi soir chez des êtres chers : le plaisir du jeu et le réconfort des amis.

Ces atmosphères feutrées se retrouvent chez Patricia Wentworth (1878-1961), dont on dit que la Miss Silver (au moins 35 titres publiés chez 10/18 entre 1928 et 1961), institutrice à la retraite, grande tricoteuse devant l'Éternel, aurait inspiré Miss Marple. Chez Lilian Jackson Braun (1913- ) également, une américaine, qui a produit une trentaine de romans dont les titres commencent toujours par Le chat...qui lisait à l'envers (son premier, 1966), ou ...qui avait un don (le dernier traduit, 2007), en passant par... qui sniffait de la colle (1988) que je me souviens avoir lu avec un plaisir certain. En principe, le détective est le journaliste Jim Qwilleran, mais ce sont les chats KoKo et Yom Yom qui le mettent sur la piste. J'aimerais finalement attirer l'attention sur deux autres auteurs, très différents en soi mais qui me semblent se rapprocher de ce genre de littérature et qui ont un talent certain : le Bostonien Harry Kemelman (1908-1996), qui nous présente le sympathique et perspicace rabbin David Small très actif dans son quartier multiculturel (une dizaine de romans entre 1965 et 1996); et Claude Izner, pseudonyme de deux sœurs, françaises, Liliane et Laurence Korb, qui ont créé en 2003 la série des Enquêtes du libraire Victor Legris (fin XIXe siècle, à Paris), dont l'insertion dans le contexte économique, politique, social et artistique de l'époque est particulièrement réussie.

Des polars verts, douillets, pour nous reposer des polars noirs. (MD)


James Patterson (1947- )

Recordman tous azimuts des ventes, Patterson est une véritable machine à produire et, depuis quelques années, s'est même trouvé des co-auteurs pour produire encore plus vite et davantage. Dans une oeuvre considérable et diversifiée, un bloc majeur: la série mettant en vedette son héros Alex Cross, psychologue et policier, toujours en chasse de serial killers monstrueux qui le menacent même souvent personnellement. Ses premiers romans sont de belles réussites. Mais, au fil du temps, la recette s'installe et la qualité se dégrade, à mesure que la sauce s'étire: psychopathes plus grands que nature, à la limite de l'invraisemblable, rythme haletant encore accentué par la prédominance des dialogues et des chapitres très courts, sequel après sequel des méfaits d'un méchant qui a bien marché dans un roman précédent et que l'on avait cru épinglé. Un auteur que l'on aime bien quand on le découvre mais dont on se lasse vite (un peu comme Ludlum), particulièrement depuis qu'il semble avoir privilégié la quantité à la qualité. (JH)

Après l'avoir abandonné pendant des années, je viens de le revisiter avec son roman Crise d'otages. Voir le compte rendu ici. (JH)


John Sandford (1944- )

Malgré une oeuvre diversifiée, il est surtout connu pour les 18 romans de la série des Proies, avec son héros Lucas Davenport. Même s'il est inspecteur à la police de Minneapolis, Davenport est indépendant de fortune (il a une firme de jeux informatiques comme sideline) et n'en fait qu'à sa tête. Mais il résout les enquêtes avec une efficacité redoutable, ce qui fait qu'on le garde à l'emploi malgré ses méthodes peu orthodoxes. Séducteur, tombeur de femmes impénitent, sa réussite professionnelle et sociale cache un malaise psychologique profond que sa fréquentation occasionnelle et platonique d'une amie religieuse l'aide quelque peu à gérer. Les romans sont plaisants et laissent un bon souvenir. Mais rares sont les auteurs qui réussissent à enfiler 18 romans avec le même héros sans finir par se répéter. Sandford ne fait pas exception à la règle, malheureusement. Il semble toutefois avoir délaissé récemment Davenport pour démarrer une nouvelle série mettant en vedette Virgil Flowers, un adjoint de Davenport. (JH)