Nos 5 étoiles

Jean-Jacques Pelletier

Voir mon compte rendu détaillé de Radio-Vérité, la radio du vrai monde et de son dernier roman, La faim de la terre.

MD (nov 08)


En un coup d'oeil

  • Naissance: 1947
  • Nationalité: québécoise et canadienne.
  • Autre occupation: professeur de philosophie jusqu'en 2004.
  • Premier roman publié: L'Homme trafiqué (1987)
  • Personnages vedettes: inspecteur-chef Théberge, Hurt, F.
  • Lieux de prédilection pour ses intrigues: surtout au Québec, mais assez cosmopolite.
  • Liste des romans traduits en français:
  • Genre(s) de prédilection: procédure policière perdue dans un thriller impitoyable aux notes poivrées d'espionnage aux dimensions internationales et aux répercussions nationales.
  • Meilleur roman, selon moi: Blunt, les 13 derniers jours (1996). Peut-être pas le meilleur en soi mais c'est par lui que j'ai commencé et que j'ai éprouvé la nécessité de lire tous les autres passés et futurs.
  • Ordre de lecture à respecter:
    • Préférable pour L'Homme trafiqué (87), La Femme trop tard (94) et Blunt, les 13 derniers jours (96);
    • indispensable pour La Chair disparue (98), L'Argent du monde (2 tomes, 2001) et Le Bien des autres (2 tomes, 2003). Ces romans constituent un même univers de référence. Nous ne parlerons pas ici des autres écrits.
  • Particularités d'édition : Les premiers romans semblent souvent épuisés, mais le succès de Pelletier pousse d'autres maisons d'édition à les rééditer.
  • Auteurs apparentés : Ludlum, à condition d'ajouter en riant : en bien meilleur!

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À mon avis

Étonnant le nombre d'écrivains recensés qui écrivent leur premier grand roman aux alentours de 40 ans! C'esMenkellt le cas du Québécois Jean-Jacques Pelletier qui a réussi, depuis 20 ans, à mener de front son métier de professeur de philosophie et sa carrière d'écrivain, sans parler de ses écrits proprement financiers, entre autres sur la gestion des placements, ses essais sur Simenon et sur Conan Doyle (Revue Alibis, à laquelle il contribue régulièrement), un bon nombre de nouvelles et, enfin, une réflexion sur l'écriture : Écrire pour inquiéter et pour construire. Maintenant qu'il est retraité depuis 2004, les amateurs de polars s'attendent à beaucoup : d'abord, terminer la série des Gestionnaires de l'apocalypse (qui a commencé en 98 avec La chair disparue) : la sortie de La Faim de la terre est prévue pour 2009. Puis, après, nous voulons être surpris.

Et nous ne pourrons pas ne pas l'être, parce que l'ancrage méthodologique de Pelletier dans les métamorphoses du monde l'empêche de se répéter. Même si des personnages se retrouvent d'un roman à l'autre, il n'y a pas de héros à proprement parler comme Holmes ou Poirot. L'action est plus importante que les personnages qui vieillissent, sont blessés ou périssent. Malgré des allusions au monde environnant, dans le polar classique, le détective baigne dans une certaine intemporalité. Chez Pelletier, au contraire, tout est marqué par la temporalité. Les affrontements entre l'Institut et le Consortium ont des allures de combats de boxe où les visages des pugilistes deviennent de plus en plus méconnaissables. Et cette temporalité est celle du monde dans lequel nous sommes nous-mêmes actuellement engagés. Et qui n'en finit plus de changer. Comme bien souvent nous vivons ces changements à travers les médias, notre esprit subit des expériences du monde morcelées, incohérentes, dont la tentative de synthèse aboutit à une sorte de vision surréaliste (et plutôt absurde) du monde. Ce qui rend facile la manipulation systématique d'individus isolés et ahuris. Pelletier nous sensibilise à cette manipulation du corps (Body Shop), de l'individu, du groupe social (Scrap) et de l'humanité.

Quand on lui demande où il puise son inspiration, Pelletier répond en souriant : Le téléjournal. Et c'est vrai que, en un sens, il y a quelque chose de diablement réaliste dans ses romans. Une bonne partie de l'action se passe au Québec : les lieux sont aisément reconnaissables. L'histoire se déroule aujourd'hui, presque en temps réel : même si ça fait 5 ans que le dernier tome a été publié, on y fait allusion aux jouets importés dangereux à cause de la teneur en plomb, du lait trafiqué; il y a même un personnage qui mentionne (dans un roman publié en mars 2001) : Il vaut mieux prendre nos distances avec Ben Laden. Il commence à devenir trop voyant! . Mais Pelletier ne se prend ni pour un gourou ni pour un prophète : Il n'est pas étonnant qu'il finisse par se passer dans la réalité des événements assez semblables à ceux que j'imagine, parce que ces derniers sont des illustrations des mêmes logiques, des mêmes discours. Cet élément de proximité risque de rebuter les lecteurs qui optent pour le dépaysement. Certains romans de Christine Brouillet, par exemple, produisent parfois un effet d'incrédibilité par excès de familiarité. On ne les prend pas au sérieux : c'est trop nous pour être vrai! Chez Pelletier, c'est l'effet contraire qui se produit : c'est trop nous pour ne pas être vrai! L'argent qui disparaît de la Caisse de Dépôts et de Placements, le trafic d'organes qu'on stocke dans des banques réfrigérées au profit des millionnaires, le jeu de certaines multinationales pour contrôler l'alimentation ou pour se prémunir contre des pénuries d'eau, l'Alliance progressiste-libérale et démocratique (nouveau parti canadien) qui veut en finir une fois pour toutes avec le cancer national-sécessionniste, et L'Église de la Réconciliation universelle à laquelle il ne semble pas impossible qu'appartiennent certains de nos monseigneurs, _ tout cela est très convaincant. Comme chez Michel Tremblay, cependant, à travers cette singularité surgit soudain l'universel : ces intrigues pourraient se dérouler n'importe où, d'autant plus que les enjeux sont planétaires. Les mêmes armes sont d'ailleurs utilisées : collusion du Religieux et du Politique, contrôle de la Finance et des Médias, manipulations informatiques, mondialisation des différents types de mafias.

Pelletier est avant tout un bon conteur d'histoires, le Fred Pellerin du polar. Intrigues complexes parfaitement maîtrisées et présentées de manière à nous tenir toujours sur le qui-vive; personnages aussi fascinants que la Lisbeth Salander de Larsson, style d'écriture nerveux, spasmodique même, qui tient du vidéo-clip, phrases courtes, incisives, simplicité du vocabulaire. Au point de vue dramatique : éclatement de la mystique du western du bon vs le méchant, mais pas dans le même sens que chez Leone. Il y a, bien sûr, des méchants très méchants, et des bons assez bons, mais ça prend parfois quelques romans pour être à peu près sûr de savoir lesquels sont lesquels, ce qui n'est pas évident pour tout le monde. Et, pour faire passer tout cela, un humour ni noir, ni rose, plutôt bleu, comme si de rien n'était, en passant. A ce titre, le personnage du policier atteint du syndrome de La Tourette et qui finit par se spécialiser dans les conférences de presse parce qu'il est le seul à pouvoir mater les journalistes, est inoubliable. Inoubliable aussi, parce que terriblement émouvante, cette relation entre Hurt, atteint de personnalités multiples, et le jeune hacker qui lui explique en termes informatiques son fonctionnement (le disque dominant et les partitions secondaires) et finit par améliorer la façon par laquelle Hurt s'efforce de se synthétiser. Épisode symbolique qui vaut pour toute l'œuvre de Pelletier qui lutte justement contre toute forme de morcellement, spécialement celle de l'information qui s'attaque directement à notre autonomie, puisqu'il devient presque impossible d'agir en connaissance de cause. Mais cette lutte se fait par la bande : Je suis persuadé que la fiction nous sert à exorciser (du moins en partie) les situations qui nous dérangent le plus. Il y a du plaisir à retrouver ces situations mises en scène dans un univers imaginaire où il paraît possible, sinon de les contrôler, du moins de les comprendre un peu mieux.

A emporter sur une île déserte.

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